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des idées

sont bien distingantes ou qui distinguent les objets, mais celles qui sont bien distinguées, c’est-à-dire qui sont distinctes en elles-mêmes et distinguent dans l’objet les marques qui le font connaître, ce qui en donne l’analyse ou définition ; autrement nous les appelons confuses. Et dans ce sens la confusion qui règne dans les idées pourra être exempte de blâme ; étant une imperfection de notre nature ; car nous ne saurions discerner les causes, par exemple, des odeurs et des saveurs, ni ce que renferment ces qualités. Cette confusion pourtant pourra être blâmable, lorsqu’il est important et en mon pouvoir d’avoir des idées distinctes, comme par exemple si je prenais de l’or sophistiqué pour du véritable, faute de faire les essais nécessaires, qui contiennent les marques du bon or.

§ 5. Ph. Mais l’on dira qu’il n’y a point d’idée confuse (ou plutôt obscure suivant votre sens), car elle ne peut être que telle qu’elle est aperçue par l’esprit, et cela la distingue suffisamment de tous les autres, § 6. Et pour lever cette difficulté, il faut savoir que le défaut des idées se rapporte aux noms, et ce qui la rend fautive, c’est lorsqu’elle peut aussi bien être désignée par un autre nom que par celui dont on s’est servi pour l’exprimer.

Th. Il me semble qu’on ne doit point faire dépendre cela des noms. Alexandre le Grand avait vu, dit-on, une plante en songe comme bonne pour guérir Lysimachus, qui fut depuis appelée Lysimachia, parce qu’elle guérit effectivement cet ami du roi. Lorsque Alexandre se fit apporter quantité de plantes, parmi lesquelles il reconnut celle qu’il avait vue en songe, si par malheur il n’avait point eu d’idée suffisante pour la reconnaître et qu’il eût eu besoin d’un Daniel comme Nabuchodonosor pour se faire retracer son songe même, il est manifeste que celle qu’il en aurait eue aurait été obscure et imparfaite (car c’est ainsi que j’aimerais mieux l’appeler que confuse), non pas faute d’application juste et quelque nom, car il n’y en avait point, mais faute d’application à la chose, c’est-à-dire à la plante qui devait guérir. En ce cas, Alexandre se serait souvenu de certaines circonstances, mais il aurait été en doute sur d’autres ; et le nom nous servant pour désigner quelque chose, cela fait que, lorsqu’on manque dans l’application aux noms, on manque ordinairement à l’égard de la chose qu’on se promet de ce nom.

§ 7. Ph. Comme les idées composées sont les plus sujettes in cette imperfection, elle peut venir de ce que l’idée est composée d’un trop petit nombre d’idées simples, comme est par exemple l’idée