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des idées

quelque autre homme qui ait déjà existé ? Il n’est pas plus la même personne avec un d’eux, que si l’âme qui est présentement en lui avait été créée lorsqu’elle commença d’animer le corps qu’elle a présentement. Cela ne contribuerait pas davantage à le faire la même personne que Nestor, que si quelques-unes des particules de matière qui une fois ont l’ait partie de Nestor étaient à présent une partie de cet homme-là. Car la même substance immatérielle sans la même conscience ne fait non plus la même personne pour être unie à tel ou tel corps que les mêmes particules de matière, unies à quelque corps sans une conscience commune, peuvent faire la même personne.

Th. Un être immatériel ou un esprit ne peut être dépouillé de toute perception de son existence passée. Il lui reste des impressions de tout ce qui lui est jamais arrivé et il a même des pressentiments de tout ce qui lui arrivera ; mais ces sentiments sont le plus souvent trop petits pour être distinguables et pour qu’on s’en aperçoive, quoiqu’ils pourraient peut-être se développer un jour. Cette continuation et liaison de perceptions fait le même individu réellement ; mais les aperceptions (c’est-à-dire lorsqu’on s’aperçoit des sentiments passés) prouvent encore une identité morale et font paraître l’identité réelle. La préexistence des âmes ne nous paraît pas par nos perceptions, mais, si elle était véritable, elle pourrait se faire connaître un jour. Ainsi il n’est point raisonnable que la restitution du souvenir devienne à jamais impossible, les perceptions insensibles (dont j’ai fait voir l’usage en tant d’autres occasions importantes) servant encore ici à en garder les semences. Feu M. Henri Morus, théologien de l’Église anglicane, était persuadé de la préexistence et a écrit pour la soutenir. Feu M. Van Helmont le fils allait plus avant, comme je viens de le dire, et croyait la transmigration des âmes, mais toujours dans des corps d’une même espèce, de sorte que, selon lui, l’âme humaine animait toujours un homme. Il croyait avec quelques rabbins le passage de l’âme d’Adam dans le Messie comme dans le nouvel Adam. Et je ne sais s’il ne croyait pas avoir été lui-même quelque ancien, tout habile homme qu’il était d’ailleurs. Or, si ce passage des âmes était véritable, au moins de la manière possible que j’ai expliquée ci-dessus (mais qui ne paraît point vraisemblable), c’est-à-dire que les âmes gardant des corps subtils, passassent tout d’un coup dans d’autres corps grossiers, le même individu subsisterait toujours dans Nestor, dans So-