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nouveaux essais sur l’entendement

l’air) presse l’une contre l’autre. Il est bien vrai que la pression (§ 24) d’un ambiant peut empêcher qu’on éloigne deux surfaces polies l’une de l’autre par une ligne qui leur soit perpendiculaire ; mais elle ne saurait empêcher qu’on ne les sépare par un mouvement parallèle à ces surfaces. C’est pourquoi, s’il n’y avait pas d’autre cause de la cohésion des corps, il serait aisé d’en séparer toutes les parties en les faisant ainsi glisser de côté, en prenant tel plan qu’on voudra, qui coupât quelque masse de matière.

Th. Oui, sans doute, si toutes les parties plates, appliquées l’une à l’autre, étaient dans un même plan ou dans des plans parallèles ; mais, cela n’étant point et ne pouvant être, il est manifeste qu’en tâchant de faire glisser les unes, en agira tout autrement sur une infinité d’autres dont le plan fera angle au premier ; car il faut savoir qu’il y a de la peine à séparer les deux surfaces congruentes, non seulement quand la direction du mouvement de séparation est perpendiculaire, mais encore quand il est oblique aux surfaces. C’est ainsi qu’on peut juger qu’il y a des feuilles, appliquées les unes aux autres en tout sens, dans les corps polyèdres que la nature forme dans les minières et ailleurs. Cependant j’avoue que la pression de l’ambiant sur des surfaces plates, appliquées les unes aux autres, ne suffit pas pour expliquer le fond de toute la cohésion, car on y suppose tacitement que ces tables appliquées l’une contre l’autre ont déjà de la cohésion.

§ 27. Ph. J’avais cru que l’étendue du corps n’était autre chose que la cohésion des parties solides.

Th. Cela ne me paraît point convenir avec vos propres explications précédentes. Il me semble qu’un corps dans lequel il y a des mouvements internes, ou dont les parties sont en action de se détacher les unes des autres (comme je crois que cela se fait toujours), ne laisse pas d’être étendu. Ainsi la notion de l’étendue me paraît toute différente de celle de la cohésion.

§ 28. Ph. Une autre idée que nous avons du corps, c’est la puissance de communiquer le mouvement par impulsion ; et une autre, que nous avons de l’âme, c’est la puissance de produire du mouvement par la pensée. L’expérience nous fournit chaque jour ces deux idées d’une manière évidente ; mais, si nous voulons rechercher plus avant comment cela se fait, nous nous trouvons également dans les ténèbres ; car à l’égard de la communication du mouvement par où un corps perd autant de mouvement qu’un autre en reçoit, qui est