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des idées

égard que quand on lui donnait tout le corps pour prison ou lieu, Je crois que ce qui se dit des âmes se doit dire à peu près des anges, que le grand docteur natif d’Aquino[1] a cru n’être en lieu que par opération, laquelle, selon moi, n’est pas immédiate et se réduit à l’harmonie préétablie. La troisième ubieté est la réplétive, qu’on attribue à Dieu, qui remplit tout l’univers encore plus éminemment que les esprits ne sont dans les corps, car il opère immédiatement sur toutes les créatures en les produisant continuellement, au lieu que les esprits finis n’y sauraient exercer aucune influence ou opération immédiate. Je ne sais si cette doctrine des écoles mérite d’être tournée en ridicule, comme il semble qu’on s’efforce de faire. Cependant on pourra toujours attribuer une manière de mouvement aux âmes, au moins par rapport aux corps auxquels elles sont unies ou par rapport à leur manière de perception.

§ 23. Ph. Si quelqu’un dit qu’il ne sait point comment il pense, je répliquerai qu’il ne sait pas non plus comment les parties solides du corps sont attachées ensemble pour faire un tout étendu.

Th. Il y a assez de difficulté dans l’explication de la cohésion, mais cette cohésion des parties ne paraît point nécessaire pour faire un tout étendu, puisqu’on peut dire que la matière parfaitement subtile et fluide compose un étendu, sans que les parties soient attachées les unes aux autres. Mais, pour dire la vérité, je crois que la fluidité parfaite ne convient qu’à la matière première, c’est-à-dire en abstraction et comme une qualité originale, de même que le repos ; mais non pas à la matière seconde telle qu’elle se trouve effectivement revêtue de ses qualités dérivatives, car je crois qu’il n’y a point de masse qui soit de la dernière subtilité, et qu’il y a plus ou moins de liaison partout, laquelle vient des mouvements en tant qu’ils sont conspirants et doivent être troubles par la séparation, ce qui ne se peut faire sans quelque violence et résistance. Au reste, la nature de la perception et ensuite de la pensée fournit une notion des plus originales. Cependant je crois que la doctrine des unités substantielles ou monades l’éclaircira beaucoup.

Ph. Pour ce qui est de la cohésion, plusieurs l’expliquent par les surfaces par lesquelles deux corps se touchent, qu’un ambiant (p. e.

  1. Saint Thomas, né à Aquino (royaume de Naples), en 1227, mort en 1274. Ses principaux ouvrages sont : la Somme théologique, la Somme contre les Gentils ; le Commentaire sur les Sentences ; des gloses continues sur tous les ouvrages d’Aristote ; et enfin quelques traités spéciaux, tels que le Principe d’individuation, l’intellect et l’intelligible, etc. P. J.