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des idées

nière intelligible. Je ne donne aux corps qu’une image de la substance et de l’action, parce que ce qui est composé de parties ne saurait passer, à parler exactement, pour une substance non plus qu’un troupeau ; cependant, on peut dire qu’il y a quelque chose de substantiel, dont l’unité, qui en fait comme un être, vient de la pensée.

Ph. J’avais cru que la puissance de recevoir des idées ou des pensées par l’opération de quelque substance étrangère s’appelle puissance de penser, quoique dans le fond ce ne soit qu’une puissance passive ou une simple capacité faisant abstraction des réflexions et des changements internes qui accompagnent toujours l’image reçue ; car l’expression, qui est dans l’âme, est comme serait celle d’un miroir vivant ; mais le pouvoir que nous avons de rappeler des idées absentes à notre choix et de comparer ensemble celles que nous jugeons à propos, est véritablement un pouvoir actif.

Th. Cela s’accorde aussi avec les notions que je viens de donner, car il y a en cela un passage à un état plus parfait. Cependant je croirais qu’il y a aussi de l’action dans les sensations, en tant qu’elles nous donnent des perceptions plus distinguées et l’occasion par conséquent de faire des remarques et pour ainsi dire de nous développer.

§ 73. Ph. Maintenant je crois qu’il paraît qu’on pourra réduire les idées primitives et originales à ce petit nombre : l’étendue, la solidité, la mobilité (c’est-à-dire puissance passive, ou bien capacité d’être mû) qui nous viennent dans l’esprit par la voie de réflexion, et enfin l’existence, la durée et le nombre, qui nous viennent par les deux voies de sensation et de réflexion ; car par ces idées-là nous pourrions expliquer, si je ne me trompe, la nature des couleurs, des sons, des goûts, des odeurs et de toutes les autres idées que nous avons, si nos facultés étaient assez subtiles pour apercevoir les différents mouvements des petits corps qui produisent ces sensations.

Th. À dire la vérité, je crois que ces idées, qu’on appelle ici originales et primitives, ne le sont pas entièrement pour la plupart, étant susceptibles à mon avis d’une résolution ultérieure : cependant je ne vous blâme point, Monsieur, de vous y être borné et de n’avoir point poussé l’analyse plus loin. D’ailleurs, je crois que, si c’est vrai que le nombre en pourrait être diminué par ce moyen, il pourrait être augmenté en y ajoutant d’autres idées plus originales ou autant. Pour ce qui est de leur arrangement, je croirais, suivant l’ordre de l’analyse, l’existence antérieure aux autres, le nombre à l’etendue,