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nouveaux essais sur l’entendement

cice de la vertu. Et même les hommes faits pourraient se faire des lois et une habitude de les suivre qui les y porterait aussi fortement et avec autant d’inquiétude s’ils en étaient détournés, qu’un ivrogne en pourrait sentir, lorsqu’il est empêché d’aller au cabaret. Je suis bien aise d’ajouter ces considérations sur la possibilité et même sur la facilité des remèdes à nos maux, pour ne pas contribuer à décourager les hommes de la poursuite des vrais biens par la seule exposition de nos faiblesses.

§ 39. Ph. Tout consiste presque à faire constamment désirer les vrais biens. Et il arrive rarement qu’aucune action volontaire soit produite en nous, sans que quelque désir l’accompagne ; c’est pourquoi la volonté et le désir sont si souvent confondus ensemble. Cependant il ne faut pas regarder l’inquiétude, qui fait partie ou qui est du moins une suite de la plupart des autres passions, comme entièrement exclue de cet article ; car la haine, la crainte, la colère, l’envie, la honte, ont chacune leurs inquiétudes, et par là opèrent sur la volonté. Je doute qu’aucune de ces passions existe toute seule, je crois même qu’on aurait de la peine à trouver quelque passion qui ne soit accompagnée de désir. Du reste, je suis assuré que partout où il y a de l’inquiétude il y a du désir. Et, comme notre éternité ne dépend pas du moment présent, nous portons notre vue au delà, quels que soient les plaisirs dont nous jouissons actuellement et le désir, accompagnant ces désirs anticipés sur l’avenir, entraîne toujours la volonté à la suite : de sorte qu’au milieu même de la joie, ce qui soutient l’action, d’où dépend le plaisir présent, c’est le désir de continuer ce plaisir et la crainte d’en être privé, et toutes les fois qu’une plus grande inquiétude que celle-là vient à s’emparer de l’esprit, elle détermine aussitôt l’esprit à une nouvelle action et le plaisir présent est négligé.

Th. Plusieurs perceptions et inclinations concourent à la volition parfaite, qui est le résultat de leur conflit. Il y en a d’imperceptibles à part, dont l’amas fait une inquiétude, qui nous pousse sans qu’on en voie le sujet ; il y en a plusieurs jointes ensemble, qui portent à quelque objet, ou qui en éloignent, et alors c’est désir ou crainte, accompagné aussi d’une inquiétude, mais qui ne va pas toujours jusqu’au plaisir on déplaisir. Enfin il y a des impulsions accompagnées effectivement de plaisir et de douleur, et toutes ces perceptions sont ou des sensations nouvelles, ou des imaginations restées de quelque sensation passée (accompagnées ou non accompagnées du souvenir)