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des idées

la justice de Dieu, qui est le fondement de la vraie religion, ou bien ils ne se souviennent plus de les avoir comprises, dont il faut pourtant l’un ou l’autre pour être persuadé. Peu de gens conçoivent même que la vie future, telle que la vraie religion et même la vraie raison l’enseignent, est possible, bien loin d’en concevoir la probabilité, pour ne pas dire la certitude. Tout ce qu’ils en pensent n’est que psittacisme ou des images grossières et vaines à la mahométane, où eux-mêmes voient peu d’apparence : car il s’en faut beaucoup qu’ils en soient touchés, comme l’étaient (à ce qu’on dit) les soldats du prince des assassins, seigneur de la Montagne, qu’on transportait quand ils étaient endormis profondément dans un lieu plein de délices, où se croyant dans le paradis de Mahomet, ils étaient imbus par des anges ou saints contrefaits d’opinions telles que leur souhaitait ce prince, et d’où, après avoir été assoupis de nouveau, ils étaient rapportés au lieu où on les avait pris ; ce qui les enhardissait après à tout entreprendre, jusque sur les vies des princes ennemis de leur seigneur. Je ne sais pas si l’on n’a pas fait tort à ce seigneur de la Montagne ; car on ne marque pas beaucoup de grands princes qu’il ait fait assassiner, quoiqu’on voie dans les historiens anglais la lettre qu’on lui attribue, pour disculper le roi Richard Ier de l’assassinat d’un comte ou prince de la Palestine, que ce seigneur de la Montagne avoue d’avoir fait tuer, pour en avoir été offensé. Quoi qu’il en soit, c’était peut-être par un grand zèle pour sa religion que ce prince des assassins voulait donner aux gens une idée avantageuse du paradis, qui en accompagnât toujours la pensée et les empêchait d’être sourds ; sans prétendre pour cela qu’ils dussent croire qu’ils avaient été dans le paradis même. Mais supposé qu’il l’eût prétendu, il ne faudrait point s’étonner que ces fraudes pieuses eussent fait plus d’effet que la vérité mal ménagée. Cependant rien ne serait plus fort que la vérité, si on s’attachait à la bien connaître et à la faire valoir ; et il y aurait moyen sans doute d’y porter fortement les hommes. Quand je considère combien peut l’ambition et l’avarice dans tous ceux qui se mettent une fois dans ce train de vie, presque destitué d’attraits sensibles et présents, je ne désespère de rien, et je tiens que la vertu ferait infiniment plus d’effet accompagnée comme elle est de tant de solides biens, si quelque heureuse révolution du genre humain la mettait un jour en vogue et comme à la mode. Il est très assuré qu’on pourrait accoutumer les jeunes gens à faire leur plus grand plaisir de l’exer-