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des idées

exacte recherche, je me sens forcé de conclure que le bien et le plus grand bien, quoique jugé et reconnu tel, ne détermine point la volonté ; à moins que, venant à le désirer d’une manière proportionnée à son excellence, ce désir nous rende inquiets de ce que nous en sommes privés. Posons qu’un homme soit convaincu de l’utilité de la vertu jusqu’à voir qu’elle est nécessaire à qui se propose quelque chose de grand dans ce monde, on espère d’être heureux dans l’autre ; cependant, jusqu’ici que cet homme se sente affmé et altéré de la justice, sa volonté ne sera jamais déterminée à aucune action qui le porte à la recherche de cet excellent bien, et quelque autre inquiétude venant à la traverse entraînera sa volonté à d’autres choses. D’autre part, posons qu’un homme adonné au vin considère que menant la vie qu’il mène à ruine sa santé et dissipe son bien, qu’il va se déshonorer dans le monde, s’attirer des maladies, et tomber dans l’indigence jusqu’à n’avoir plus de quoi satisfaire cette passion de boire qui le possède si fort ; cependant, les retours d’inquiétute qu’il sent à être absent de ses compagnons de débauche l’entraînent au cabaret, aux heures qu’il a accoutumé d’y aller, quoiqu’il ait alors devant ses yeux la perte de sa santé et de ses biens, et peut-être même celle du bonheur de l’autre vie, bonheur qu’il ne peut regarder comme un bien peu considérable en lui-même, puisqu’il avoue qu’il est plus excellent que le plaisir de boire ou que le vain babil d’une troupe de débauchés. Ce n’est donc pas faute de jeter les yeux sur le souverain bien qu’il persiste dans ce dérèglement, car il l’envisage et en reconnaît l’excèslence, jusque-là que durant tout le temps qui s’écoule entre les heures qu’il emploie à boire, il résout de s’appliquer à rechercher ce souverain bien ; mais, quand l’inquiétude d’être privé du plaisir auquel il est accoutumé vient le tourmenter, ce bien qu’il reconnaît plus excellent que celui de boire, n’a plus de force sur son esprit, et c’est cette inquiétude actuelle qui détermine sa volonté à l’action à laquelle il est accoutumé, et qui, par là, faisant de plus fortes impressions, prévaut encore à la première occasion, quoique, en même temps, il s’engage pour ainsi dire lui-même, par de secrètes promesses, à ne plus faire la même chose, et qu’il se figure que ce sera la dernière fois qu’il agira contre son plus grand intérêt. Ainsi il se trouve de temps en temps réduit à dire :

Video meliora proboque,
Deteriora sequor.