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nouveaux essais sur l’entendement

ne peut éviter de vouloir l’existence ou la non-existence de cette action.

Th. Je croirais qu’on peut suspendre son choix et que cela se fait bien souvent, surtout lorsque d’autres pensées interrompent la délibération ; ainsi, quoiqu’il faille que l’action sur laquelle on délibère existe ou n’existe pas, il n’en suit point qu’on en doive résoudre nécessairement l’existence ou la non-existence ; car la non-existence peut arriver encore, faute de résolution. C’est comme les aéropagistes absolvaient en effet cet homme dont ils avaient trouvé le procès trop difficile à juger, le renvoyant à un terme bien éloigné et prenant cent ans pour y penser.

Ph. En faisant l’homme libre de cette sorte, je veux dire en faisant que l’action de vouloir dépende de sa volonté, il faut qu’il y ait une autre volonté ou faculté de vouloir antérieure pour déterminer les actes de cette volonté et une autre pour déterminer celle-là, et ainsi à l’infini ; car où que l’on s’arrête, les actions de la dernière volonté ne sauraient être libres.

Th. Il est vrai qu’on parle peu juste lorsqu’on parle comme si nous voulions vouloir. Nous ne voulons point vouloir, mais nous voulons faire, et si nous voulions vouloir, nous voudrions vouloir vouloir, et cela irait à l’infini ; cependant, il ne faut point dissimuler que par des actions volontaires, nous contribuons souvent indirectement à d’autres actions volontaires, et, quoiqu’on ne puisse point vouloir ce qu’on veut, comme on ne peut pas même juger ce qu’on veut, on peut pourtant faire en sorte par avance qu’on juge ou veuille avec le temps ce qu’on souhaiterait de pouvoir vouloir ou juger aujourd’hui. On s’attache aux personnes, aux lectures et aux considérations favorables à un certain parti, on ne donne point attention à ce qui vient du parti contraire, et par ces adresses et mille autres qu’on emploie le plus souvent sans dessein formé et sans y penser, on réussit à se tromper ou du moins à se changer et à se convertir ou pervertir selon qu’on a rencontré.

§ 25. Ph. Puis donc qu’il est évident que l’homme n’est pas en liberté de vouloir vouloir ou non, la première chose qu’on demande après cela, c’est si l’homme est en liberté de vouloir lequel des deux il lui plaît, le mouvement par exemple ou le repos ? Mais cette question est si visiblement absurde en elle-même, qu’elle peut suflire à convaincre quiconque y fera réflexion, que la liberté ne concerne dans aucun cas la volonté ; car demander si un homme est en liberté