Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
des idées

s’en éloigne, et ceux qui opposent la liberté à la nécessité entendent parler non pas des actions extérieures, mais de l’acte même de vouloir.

§ 12. Ph. Un homme éveillé n’est pas non plus libre de penser ou ne pas penser qu’il est en liberté d’empêcher ou de ne pas empêcher que son corps touche aucun autre corps. Mais de transporter ses pensées d’une idée à l’autre, c’est ce qui est souvent en sa disposition. Et en ce cas-là, il est autant en liberté par rapport aux corps sur lesquels il s’appuie, pouvant se transporter de l’un sur l’autre, comme il lui vient en fantaisie. Il y a pourtant des idées qui, comme certains mouvements, sont tellement fixées dans l’esprit, que dans certaines circonstances, on ne peut les éloigner, quelque effort qu’en fasse. Un homme à la torture n’est pas en liberté de n’avoir pas l’idée de la douleur et quelquefois une violente passion agit sur notre esprit, comme le vent le plus furieux agit sur nos corps.

Th. Il y a de l’ordre et de la liaison dans les pensées, comme il y en a dans les mouvements, car l’un répond parfaitement à l’autre, quoique la détermination dans les mouvements soit brute et libre ou avec choix dans l’être qui pense, que les biens et les maux ne font qu’incliner, sans le forcer. Car l’âme en représentant les corps garde ses perfections et quoiqu’elle dépende du corps (à le bien prendre) dans les actions involontaires, elle est indépendante et fait dépendre le corps d’elle dans les autres. Mais cette dépendance n’est que métaphysique et consiste dans les égards que Dieu a pour l’un en réglant l’autre, ou plus pour l’un que pour l’autre, il mesure des perfections originales d’un chacun, au lieu que la dépendance physique consisterait dans une influence immédiate que l’un recevrait de l’autre dont il dépend. Au reste, il nous vient des pensées involontaires, en partie de dehors par les objets qui frappent nos sens, et en partie au dedans, à cause des impressions (souvent insensibles) qui restent des perceptions précédentes qui continuent leur action et qui se mêlent avec ce qui vient de nouveau. Nous sommes passifs à cet égard et même quand on veille, des images (sous lesquelles je comprends non seulement les représentations des figures, mais encore celles des sons et d’autres qualités sensibles) nous viennent comme dans les songes, sans être appelées. La langue allemande les nomme fliegende Gedanken, comme qui dirait des pensées volantes qui ne sont pas en notre pouvoir, et où il y a quelquefois bien des absurdités qui donnent des scrupules aux gens de bien