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nouveaux essais sur l’entendement

cation des signes ne mérite pas d’être distinguée ici de la perception des idées signifiées.

§ 6. Ph. L’on dit communément que l’entendement et la volonté sont deux facultés de l’âme, terme assez commode si l’on s’en servait comme l’on devrait s’en servir de tous les mots, en prenant garde qu’ils ne fissent naître aucune confusion dans les pensées des hommes, comme je soupçonne qu’il est arrivé ici dans l’âme. Et, lorsqu’on nous dit que la volonté est cette faculté supérieure de l’âme, qui règle et ordonne toutes choses, qu’elle est ou n’est pas libre, qu’elle détermine les facilités inférieures, qu’elle suit le dictamen de l’entendement (quoique ces expressions puissent être entendues dans un sens clair et distinct), je crains pourtant qu’elles n’aient fait venir à plusieurs personnes l’idée confuse d’autant d’agents qui agissent distinctement en nous.

Th. C’est une question qui a exercé les écoles depuis longtemps, savoir s’il y a une distinction réelle entre l’âme et ses facultés, et si une faculté est distincte réellement de l’autre. Les réaux ont dit que oui et les nominaux que non. Et la même question a été agitée sur la réalité de plusieurs autres êtres abstraits qui doivent suivre la même destinée. Mais je ne pense pas qu’on ait besoin ici de décider cette question et de s’enfoncer dans ces épines, quoique je me souvienne qu’Épiscopius[1] l’a trouvée de telle importance qu’il a cru qu’on ne pourrait point soutenir la liberté de l’homme si les facilités de l’âme étaient des êtres réels. Cependant, quand elles seraient des êtres réels et distincts, elles ne sauraient passer pour des agents réels, qu’en parlant abusivement. Ce ne sont pas les qualités ou facultés qui agissent, mais les substances par les facultés.

§ 8. Ph. Tant qu’un homme a la puissance de penser ou de ne pas penser, de mouvoir ou de ne pas mouvoir conformément à la préférence ou au choix de son propre esprit, jusque-là il est libre.

Th. Le terme de liberté est fort ambigu. Il y a liberté de droit et de fait. Suivant celle de droit, un esclave n’est point libre et un sujet n’est pas entièrement libre, mais un pauvre est aussi libre qu’un riche. La liberté de fait consiste ou dans la puissance de faire ce qu’on veut

  1. Épiscopius, théologien hollandais, né à Amsterdam en 1583 et mort dans cette ville en 1643. Ses œuvres ont été publiées en deux volumes in-folio à Amsterdam en 1650 et 1655. Elles sont toutes théologiques et traitent principalement du libre arbitre. On cite de lui un traité intititulé : An philosophicæ studium necessarium sit theologo.