Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xvi
œuvres de leibniz

tance, action et force ; et toutes ces notions portent que ce qui pâtit doit agir réciproquement, et que tout ce qui agit doit pâtir quelques réactions[1]. »

2o  l’étendue ne peut servir à rendre raison des changements qui arrivent dans les corps, car l’étendue et ses diverses modifications constituent ce que l’on appelle, dans l’école, des dénominations extrinsèques, d’où il ne peut rien résulter pour l’être lui-même ; qu’un corps en effet soit rond ou carré, il n’importe à son état intérieur, il ne peut résulter de là pour lui aucun changement particulier[2]. Aussi, toute philosophie exclusivement mécanique est-elle réduite à nier le changement, et à dire que tout est immuable, et qu’il n’y a que des modifications de situation, des déplacements dans l’espace ou des mouvements. Mais qui ne voit que le mouvement lui-même est un changement, et doit avoir sa raison dans l’être qui se ment ou qui est mû ? car même le mouvement passif doit correspondre a quelque chose dans l’essence du corps mû. D’ailleurs, si les éléments corporels sont distincts, les uns des autres par la figure, pourquoi ont-ils telle figure plutôt que telle autre ? Épicure nous parle d’atomes ronds ou crochus. Mais pourquoi tel atome est-il rond et tel autre crochu ? Cela ne doit-il pas avoir sa raison dans la substance même de l’atome ? et ainsi la figure, la situation, le mouvement et toutes les modifications extrinsèques des corps doivent émaner d’un principe intérieur analogue à celui qu’Aristote appelle nature ou entéléchie[3].

3o  En troisième lieu, l’étendue ne peut être substance ; au

  1. Lettre si l’essence du corps consiste dans l’étendue, 1691 (Erdmann, t. XXVII, p. 112).
  2. « L’étendue est un attribut qui ne saurait constituer un être accompli ; on n’en saurait tirer aucune action ni changement ; elle exprime seulement un état présent, mais nullement le passé ou le futur, comme doit faire la notion d’une substance, » — Lettre à Arnauld (Voir notre édition de Leibniz, p. 639).
  3. Confessio naturæ contra Artheista, 1668. Erdm., p. 45. Leibniz, dans ce petit traité, démontre : 1o  que les corps et même les atomes n’ont pas en eux-mêmes la raison de leur figure ; 2o  qu’ils n’ont pas la raison de leur mouvement ; 3o  qu’ils n’ont pas la raison de leur cohérence.