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des idées

templer certains objets, il ne s’aperçoit en aucune manière de l’impression que certains corps font sur l’organe de l’ouïe, bien que l’impression soit assez forte, mais il n’en provient aucune perception, si l’âme n’en prend aucune connaissance.

Th. J’aimerais mieux distinguer entre « perception » et entre « s’apercevoir ». La perception de la lumière ou de la couleur, par exemple, dont nous nous apercevons, est composée de quantité de petites perceptions dont nous ne nous apercevons pas, et un bruit dont nous avons perception, mais dont nous ne prenons point garde, devient aperceptible par une petite addition ou augmentation. Car, si ce qui précède ne faisait rien sur l’âme, cette petite addition n’y ferait rien encore, et le tout n’y ferait rien non plus. J’ai déjà touché ce point, chapitre ii de ce livre, paragraphes 11, 12, 15, etc.

§ 8. Ph. Il est à propos de remarquer ici que les idées qui viennent par la sensation sont souvent altérées par le jugement de l’esprit des personnes faites, sans qu’elles s’en aperçoivent. L’idée d’un globe de couleur uniforme représente un cercle plat diversement ombragé et illuminé. Mais, comme nous sommes accoutumés à distinguer les images des corps et les changements des réflexions de la lumière selon les figures de leurs surfaces, nous mettons à la place de ce qui nous paraît la cause même de l’image et confondons le jugement avec la vision.

Th. Il n’y a rien de si vrai, et c’est ce qui donne moyen à la peinture de nous tromper par l’artifice d’une perspective bien entendue. Lorsque les corps ont des extrémités plates, on peut les représenter sans employer les ombres en ne se servant que des contours et en faisant simplement des peintures à la façon des Chinois, mais plus proportionnées que les leurs. C’est comme on a coutume de dessiner les médailles, afin que le dessinateur s’éloigne moins des traits précis des antiques. Mais on ne saurait distinguer exactement par le dessin le dedans d’un cercle du dedans d’une surface sphérique, bornée par ce cercle, sans le secours des ombres ; le dedans de l’un et de l’autre n’ayant pas de points distingués, ni de traits distinguant, quoiqu’il y ait pourtant une grande différence qui doit être marquée. C’est pourquoi M.  Des Argues[1] a donné des préceptes sur la force des teintes

  1. Des Argues (Gaspard), géomètre français, ami de Descartes, Gassendi, Pascal et Roberval, s’est occupé surtout de l’application de la géométrie aux arts. Ses écrits ont été perdus. Descartes parle cependant de sa Méthode universelle de mettre en perspective les objets donnés (édition Cousin, t.  VI, pp.  250-256).