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est propre, entièrement distincte de la matière. Quand un corps change d’état, il n’y a pas de changement dans les parties, il y a une forme chassée par une autre forme[1] ». Ainsi, lorsque l’eau devient glace, les péripatéticiens soutenaient qu’une forme nouvelle se substituait à la forme précédente, pour constituer un nouveau corps. Non seulement ils admettaient ainsi des entités premières ou formes substantielles pour expliquer la différence des substances ; mais, ils en admettaient aussi pour les moindres changements et pour toutes les qualités sensibles, qu’ils appelaient formes accidentelles ; ainsi, la dureté, la chaleur, la lumière, seraient des êtres tout différents des corps dans lesquels ils se trouvent.

Pour éviter les difficultés inhérentes à cette théorie, les scolastiques avaient été amenés a établir des divisions à l’infini entre les formes substantielles. C’est ainsi que les jésuites de Coïmbre en admettaient de trois espèces : 1° l’être qui ne reçoit point l’existence d’une cause supérieure, et n’est point reçu dans un sujet inférieur, c’est-à-dire Dieu ; 2° les forces qui reçoivent l’être d’ailleurs sans être elles-mêmes reçues dans la matière, c’est-à-dire les formes, dégagées de toute concrétion corporelle ; 3° enfin, les formes dépendantes de toutes parts, qui tiennent l’être d’une cause supérieure, et sont reçues dans un sujet : tels sont les accidents et formes substantielles déterminant la matière. D’autres scolastiques descendaient à des divisions encore plus minutieuses, et reconnaissaient six classes de formes substantielles : 1° celle de la matière première ou des éléments ; 2° celles des composés inférieurs, à savoir, les pierres ; 3° celles des composés plus élevés, des drogues, par exemple ; 4° celles des êtres vivants, les plantes ; 5° celle des êtres sensibles, les animaux ; 6° enfin, au-dessus de toutes les autres, la forme substantielle raisonnable (rationnalis), qui ressemble aux autres en tant que forme d’un corps, mais qui ne

  1. L.-P. Lagrange, les Principes de la philosophie contre les nouveaux philosophes. — Voyez Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, t. I, ch. xxvi.