Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/442

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sin, il n’avait qu’à le lui faire savoir, et qu’il irait couper les oreilles de l’offenseur, fût-il le premier personnage de Glasgow.

Après cet échange d’assurance de secours mutuels et de continuation de bienveillance, nous nous éloignâmes du rivage en nous dirigeant vers l’extrémité sud-ouest du lac, où il donne naissance à la rivière Leven. Rob-Roy resta quelques moments debout sur le rocher où nous nous étions séparés. Nous ne pouvions déjà plus distinguer ses traits, que nous le reconnaissions encore à son long fusil, à son plaid agité par le vent, et à la plume qui surmontait son bonnet, emblème qui, à cette époque, distinguait les gentilshommes et les chefs montagnards. Aujourd’hui je remarque que le goût militaire a orné ces mêmes bonnets d’une touffe de plumes noires, semblable à celles dont on se sert dans les funérailles. Enfin, lorsque l’éloignement ne nous permit presque plus de l’apercevoir, nous le vîmes remonter lentement la pente de la montagne, suivi des montagnards qui lui servaient de gardes du corps.

Nous voguâmes long-temps en gardant le silence ; il n’était interrompu que par le chant gaélique d’un de nos rameurs qui, d’une voix basse et sourde, marquait la mesure d’une manière lente et irrégulière : de temps en temps ses compagnons, joignant leurs voix à la sienne sur un ton plus élevé, formaient un chœur aussi bizarre que sauvage.

Quoique mes pensées fussent sombres et tristes, la beauté du paysage qui m’entourait n’était pas pour moi sans douceur. Dans l’enthousiasme du moment, il me semblait que si ma foi eût été celle de l’église catholique romaine, j’aurais consenti à vivre et à mourir en ermite, dans une de ces îles si belles et si pittoresques au milieu desquelles glissait notre barque.

Le bailli se livrait aussi à ses réflexions, mais elles étaient d’un genre un peu différent, comme je m’en aperçus lorsque, après environ une heure de silence, pendant laquelle il avait été enfoncé dans de grands calculs, il entreprit de me prouver la possibilité de dessécher ce lac, et de rendre à la charrue et à la bêche plusieurs centaines, plusieurs milliers même d’acres de terre, dont l’homme ne retirait aucun profit, si ce n’est de temps en temps un brochet ou un plat de perches.

De toute une longue dissertation dont il remplit mes oreilles sans que mon esprit y comprît grand’chose, tout ce que je puis me rappeler, c’est qu’il entrait dans son projet de conserver une