Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/419

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dire que j’aie jamais rejeté mon fardeau sur les épaules d’un autre. C’était Rashleigh qui avait imaginé tout cela… Mais il est certain qu’elle avait beaucoup d’influence sur nous, à cause de l’attachement de Son Excellence pour elle, et puis aussi parce qu’elle est initiée dans bien des secrets qu’il eût été dangereux de compromettre par une affaire de ce genre… Le diable soit de celui qui confie un secret à une femme, ou qui lui donne une autorité dont elle peut abuser ! » s’écria-t-il par réflexion ; « on ne doit pas mettre un bâton ferré dans la main d’un fou. »

Nous n’étions plus qu’à un quart de mille du clachan, lorsque trois montagnards, s’élançant sur nous, nous ordonnèrent de nous arrêter et de dire ce que nous cherchions. Le seul mot Gregarach, prononcé par la voix forte et imposante de mon compagnon, fut accueilli par des acclamations, ou, pour mieux dire, par des hurlements de surprise et de joie. L’un d’eux, jetant son fusil à terre, embrassa les genoux de son chef si étroitement qu’il lui fut impossible de s’en dégager, murmurant en gaélique un torrent de félicitations, élevant même de temps en temps sa voix jusqu’à une espèce de cri d’allégresse… Ce premier mouvement de joie s’étant enfin calmé, deux de ces montagnards partirent avec la vitesse d’un daim, pour porter au clachan d’Aberfoïl, où se trouvait alors un fort détachement des Mac-Gregor, l’heureuse nouvelle de la délivrance et du retour de Rob-Roy. Elle y fut reçue avec des transports et des cris de joie qui firent retentir les rochers et les montagnes ; jeunes et vieux, hommes, femmes, enfants, sans distinction de sexe ni d’âge, accoururent avec l’impétuosité d’un torrent. Quand j’entendis le bruit tumultueux et les hurlements de cette multitude enivrée qui s’approchait, je crus devoir prendre la précaution de rappeler à Mac-Gregor que j’étais étranger et sous sa protection. Aussitôt il me prit par la main, tandis que la foule s’assemblait au tour de lui avec des transports d’amour et de joie qui avaient véritablement quelque chose d’attendrissant ; chacun s’efforçait avidement de toucher la main du chef, mais il ne la présenta à personne avant de leur avoir expliqué que j’étais un ami, et que je devais être traité avec respect et avec égards.

Un ordre du sultan de Delhi n’aurait pu être plus promptement exécuté, et leur bienveillance menaça de me devenir aussi incommode que leur rudesse aurait pu l’être. À peine voulaient-ils souffrir que l’ami de leur chef se servît de ses jambes, tant ils étaient empressés à m’offrir leur aide et leurs bras pour faci-