Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/406

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tre indifférent à cette singulière scène ; mais bientôt j’entendis une voix s’écrier tout à coup : « Où est l’étranger anglais ? c’est lui qui a donné à Rob-Roy un couteau pour couper la courroie ? — Il faut fendre le ventre à ce mangeur de pouding ! cria une autre ; — ou lui envoyer une couple de balles dans la cervelle ! dit une troisième ; — ou lui enfoncer trois pouces de fer dans la poitrine ! dit une quatrième. »

En ce moment j’entendis plusieurs cavaliers galoper de côté et d’autre, sans doute dans la bienveillante intention d’exécuter ces menaces. J’ouvris tout à coup les yeux sur le danger de ma situation, et je ne doutais pas que des hommes armés, dont les passions irritées n’étaient contenues par aucun frein, ne commençassent par tirer sur moi ou me frapper à coup de sabre, quitte à examiner après la justice de cette action. Frappé de cette idée, je sautai à bas de mon cheval, et, lui laissant la liberté d’aller où bon lui plairait, je m’enfonçai dans un épais buisson d’aunes, où, grâce à l’obscurité de la nuit, je pensai que je courais peu de risque d’être découvert. Si j’avais été assez près du duc pour invoquer directement sa protection, je l’aurais fait ; mais il avait déjà commencé sa retraite, et je ne voyais sur la rive gauche de la rivière aucun officier dont l’autorité fût assez puissante pour me protéger. Je ne crus pas que, dans cette circonstance, il y allât de mon honneur d’exposer inutilement ma vie. Lorsque le tumulte commença à s’apaiser et que le bruit des pieds des chevaux ne se fit plus entendre près de moi, ma première pensée fut de me rendre aux quartiers du duc, où la discipline serait rétablie, et de me remettre entre ses mains comme un sujet fidèle qui n’avait rien à craindre de la justice et tout à attendre de sa protection et de son hospitalité. Dans ce dessein, je sortis de ma retraite et je jetai les yeux autour de moi.

L’obscurité était complète, aucun cavalier ne restait sur les rives du Forth, et je n’entendais plus que le bruit éloigné des pieds des chevaux et le son prolongé des trompettes résonnant dans les bois pour rappeler les traînards. La situation où je me trouvais était hérissée de difficultés. Je n’avais pas de cheval, et le courant rapide et profond du fleuve, que la lueur confuse d’une lune décroissante rendait plus formidable encore, n’avait rien de bien engageant pour un homme à pied, nullement accoutumé à passer à gué les rivières, et qui venait de voir des chevaux engagés dans ce dangereux passage avec de l’eau jusqu’à la selle. D’un autre