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tandis que les premiers rangs traversaient successivement, ce qui occasionna un délai considérable, et même quelque confusion, car un certain nombre de cavaliers qui n’appartenaient pas à l’escadron s’attroupèrent irrégulièrement sur le bord du Forth, et jetèrent un peu de désordre dans la cavalerie de la milice, quoiqu’elle fût assez bien disciplinée.

Pendant que nous étions tous confondus les uns avec les autres, j’entendis Rob-Roy dire à voix basse à l’homme derrière lequel il était en croupe : « Votre père, Ewan, n’aurait pas ainsi conduit un vieil ami à la boucherie comme un veau qu’on va égorger, pour tous les ducs de la chrétienté. »

Ewan ne répondit pas, mais fit un mouvement d’épaules qui semblait dire qu’il agissait contre son gré.

« Et quand les Mac-Gregor descendront de leurs montagnes, et que vous verrez vos étables vides, votre foyer teint de sang, et le feu dévorant les poutres de votre maison, vous penserez peut-être, Ewan, que si votre ami Robin eût été à leur tête, les biens que vous regretterez auraient été en sûreté. »

Ewan de Brigglands fit un nouveau mouvement d’épaules en poussant un soupir, mais garda le silence.

« C’est une chose pénible, » continua Rob en prononçant ces paroles insinuantes dans l’oreille d’Ewan, d’un ton si bas que j’étais le seul qui pût les entendre ; « c’est une chose bien pénible, qu’Ewan de Brigglands, que Roy Mac-Gregor a si souvent aidé de son bras, de son épée et de sa bourse, s’inquiète plus de la colère d’un grand seigneur que de la vie de son ami. »

Ewan parut très-agité, mais il continua de garder le silence. En ce moment on entendit le duc crier de l’autre côté : « Faites traverser le prisonnier. »

Ewan mit son cheval en mouvement, et j’entendis encore Rob lui dire : « Ne mettez pas en balance le sang d’un Mac-Gregor, quand il ne s’agit pour le sauver que de rompre une misérable sangle ; car il faudra en rendre un bien autre compte dans ce monde et dans l’autre. » Ils passèrent rapidement devant moi, et s’élancèrent dans la rivière avec quelque précipitation.

« Pas encore, pas encore, monsieur, » me dit, au moment où je me préparais à les suivre, un des cavaliers qui, comme beaucoup d’autres, se pressait pour passer.

À la faible lueur du crépuscule, je vis le duc, de l’autre côté, occupé de faire reprendre leurs rangs à ses gens à mesure qu’ils