Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/330

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André fut donc obligé d’obéir à l’ordre de M. Jarvie ; seulement il grommela entre ses dents : « Mal prend d’avoir tant de maîtres, comme disait la terre au râteau en recevant un coup de chacune de ses dents. »

Il paraît qu’il n’éprouva aucune difficulté à se défaire de Souple-Tam et à reprendre possession de son ancien Bucéphale, car quelques minutes lui suffirent pour accomplir cet échange, et il ne me parla jamais de ce qu’il m’avait dit devoir payer pour le dédit.

Nous partîmes alors ; mais nous n’étions pas encore au haut de la rue dans laquelle demeurait M. Jarvie, que nous entendîmes derrière nous quelqu’un qui criait très haut et d’une voix toute essoufflée : « Arrêtez, arrêtez ! » Nous nous arrêtâmes en effet, et fûmes rejoints par les deux commis de M. Jarvie qui lui apportaient deux nouveaux témoignages des attentions de Mattie pour son maître : l’un était un énorme mouchoir de soie qui aurait pu servir de grande voile à l’un des bâtiments qu’il envoyait dans les Indes occidentales, et dont Mattie lui recommandait instamment de s’envelopper le cou, ce qu’il fit aussitôt ; l’autre était une recommandation, de la part de la ménagère, d’être prudent et de prendre garde de se faire mouiller : il me sembla que le petit drôle avait envie de rire en s’acquittant de ce message. « Bah, bah, la petite sotte ! » dit M. Jarvie ; puis se tournant vers moi il ajouta : « Cela prouve un bon cœur pourtant dans une si jeune créature… Mattie est une fille attentive. » En parlant ainsi il piqua les flancs de son coursier, et nous sortîmes de la ville.

Pendant que nous chevauchions sur une route qui nous conduisait au nord-est de Glasgow, j’eus l’occasion de remarquer et d’apprécier quelques-unes des bonnes qualités de mon nouvel ami. Quoique, de même que mon père, il considérât les opérations commerciales comme l’objet le plus important de la vie humaine, il n’en était pas engoué au point de regarder avec mépris des connaissances plus générales. Au contraire, à travers ses bizarreries et ses manières un peu triviales, avec une vanité qu’il rendait plus ridicule en cherchant à la déguiser sous un voile d’humilité beaucoup trop transparent ; enfin, quoique privé des avantages d’une éducation soignée, la conversation de M. Jarvie indiquait un esprit pénétrant, observateur, libéral, et qui avait mis à profit toutes les occasions qu’il avait eues de s’instruire. Il possédait la connaissance des antiquités locales, et m’entretint des événements remarquables dont les lieux que nous traversions avaient été le