Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/311

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minutes qu’une heure est sonnée. Mattie est venue deux fois pour servir le dîner. Il est heureux pour vous que ce soit une tête de bélier qui peut attendre sans danger : une tête de mouton trop cuite est un vrai poison, comme disait mon père. Il était fort amateur de l’oreille, le digne homme ! »

Je m’excusai le mieux que je pus de mon manque d’exactitude, et on se mit bientôt à table. M. Jarvie en fit les honneurs avec beaucoup de gaieté et de cordialité, nous servant avec profusion les délicatesses écossaises dont elle était chargée, et dont la saveur accommodait peu nos palais du sud. Connaissant les usages de la société, je paralysais avec adresse les effets de cette persécution toute bienveillante ; mais Owen, dont la politesse était plus stricte et plus formaliste, voulait d’ailleurs témoigner autant qu’il était en lui ses égards pour l’ami de notre maison : il était plaisant de le voir avaler avec une triste résignation chaque bouchée de mouton dont son assiette était chargée, tout en faisant à contrecœur l’éloge de ces mets qui lui paraissaient détestables.

Lorsque la nappe fut enlevée, M. Jarvie prépara de ses mains un petit bol de punch à l’eau-de-vie, le premier qu’il me fût arrivé de voir faire ainsi.

Les citrons venaient de sa petite ferme là-bas, nous assura-t-il en faisant un mouvement d’épaules significatif qui indiquait qu’il voulait parler des Indes occidentales, et il avait appris l’art de préparer cette liqueur du vieux capitaine Coffinkey, qui, ajouta-t-il à demi-voix, l’avait appris lui-même parmi les flibustiers. « Ce n’en est pas moins une excellente liqueur, continua-t-il en nous en servant à la ronde, et de bonnes marchandises peuvent sortir d’une mauvaise boutique. Quant au capitaine Coffinkey, c’était un fort honnête homme quand je l’ai connu, si ce n’est qu’il jurait effroyablement ; mais il est mort et est allé rendre ses comptes. J’espère qu’ils auront été acceptés ; oui, il faut l’espérer. »

Nous trouvâmes la liqueur fort agréable, et elle donna lieu à une longue conversation entre Owen et notre hôte sur les débouchés que l’Union avait procurés au commerce entre Glasgow et les colonies anglaises de l’Amérique et des îles. Owen ayant avancé qu’il ne croyait pas que cette ville pût faire des chargements considérables pour ces pays sans tirer des marchandises de l’Angleterre, M. Jarvie s’écria avec chaleur :