Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais, pendant mon frugal repas, elle revint avec plus de force exercer sur moi son attrait, et finit par s’emparer tellement de mon esprit (ce à quoi contribua peut-être la chaleur de quelques verres d’excellent claret), que, faisant une espèce d’effort désespéré pour m’arracher à l’erreur séduisante à laquelle j’étais en danger de céder tout à fait, je repoussai mon verre, quittai la table, saisis mon chapeau, et m’élançai en plein air comme un homme qui veut échapper à ses propres pensées. Et cependant, en ce moment même, je cédais peut-être à ces sensations que je semblais fuir, puisque mes pas me conduisirent insensiblement sur le pont de la Clyde, qui était le lieu indiqué par mon invisible moniteur.

Quoique je n’eusse dîné qu’après le service du soir, en quoi, par parenthèse, j’avais eu égard aux scrupules religieux de mon hôtesse, qui hésitait à préparer un repas entre les deux sermons, et à l’avis mystérieux de rester chez moi jusqu’à la nuit, plusieurs heures devaient encore s’écouler avant celle de mon rendez-vous vous concevrez facilement combien cet intervalle dut me paraître ennuyeux ; je saurais à peine vous dire comment il se passa. Différents groupes de personnes jeunes ou vieilles, qui toutes semblaient plus ou moins porter sur leur figure l’empreinte de la sainteté du jour, traversaient la vaste prairie qui est sur le bord septentrional de la Clyde, et qui sert à la fois de champ pour y faire blanchir la toile, et de promenade aux habitants de Glasgow ; d’autres passaient lentement sur le pont, se rendant vers la partie méridionale du comté. Un caractère général de dévotion, dont l’austérité n’avait rien de repoussant, était empreint sur toutes ces physionomies ; sur quelques-unes peut-être ce n’était qu’une affectation de gravité, mais dans la plupart c’était un sentiment sincère qui tempérait la pétulante gaieté de la jeunesse, répandait sur ses manières un intérêt plus calme et plus touchant, tandis qu’il réprimait dans les personnes d’un âge mûr la vivacité de la discussion, et en abrégeait les longueurs. Malgré le grand nombre de personnes qui passaient auprès de moi, on n’entendait aucun bourdonnement de voix humaines ; peu de gens revenaient sur leurs pas pour prendre un exercice de quelques minutes, quoique le loisir de la soirée et la beauté du lieu et des environs semblassent les y engager : chacun retournait chez soi sans s’arrêter. Pour quelqu’un accoutumé à la manière dont on passe les soirées du dimanche dans l’étranger, même parmi les calvinistes