Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/241

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et trottait bravement en avant, d’un train à faire huit ou dix milles à l’heure. J’étais surpris et mécontent de l’opiniâtreté avec laquelle ce drôle s’obstinait à le suivre, car nous rencontrions à chaque pas des montées et des descentes très-brusques, sur un terrain où nous courions le risque de nous rompre le cou, et nous nous trouvions quelquefois tellement au bord des précipices, que le moindre faux pas d’un de nos chevaux eût entraîné son cavalier à une mort certaine. La lune ne nous fournissait plus qu’une clarté imparfaite et douteuse, et en quelques endroits l’ombre épaisse des montagnes nous enveloppait de si profondes ténèbres, que je ne pouvais plus suivre André que par le bruit des pieds de son cheval, et par les étincelles qu’il faisait jaillir des pierres sur lesquelles nous marchions. Cependant la rapidité de ce mouvement et l’attention que ma sûreté personnelle m’obligeait de donner à mon cheval, finirent par me devenir réellement utiles en détournant mes pensées de la foule de réflexions pénibles qui auraient accablé mon esprit ; mais, à la fin, après avoir crié à plusieurs reprises à André d’aller plus doucement, je fus sérieusement irrité de l’impudence et de l’obstination qu’il mettait à ne vouloir ni m’obéir ni me répondre. Ma colère, toutefois, était impuissante ; j’essayai bien deux ou trois fois de rejoindre mon guide opiniâtre, dans le dessein de me servir du manche de mon fouet pour lui apprendre à descendre de cheval ; mais André était mieux monté que moi, et soit qu’il fût emporté par l’ardeur de l’animal qui le portait, ou, plus probablement encore, qu’il fût aiguillonné par le pressentiment de mes bonnes intentions à son égard, le fait est qu’il redoublait le pas toutes les fois que je cherchais à l’atteindre. D’un autre côté, j’étais obligé d’avoir recours à mes éperons pour ne pas le perdre de vue ; car, sans lui, je sentais qu’il ne me serait jamais possible de retrouver ma route à travers le pays désert et sauvage que nous traversions d’un si grand train. Mais, ma colère étant enfin arrivée au comble, je le menaçai d’avoir recours à mes pistolets, et d’envoyer à André le bouillant cavalier[1] une balle qui mettrait un terme à l’impétuosité de sa course, s’il ne la ralentissait pas de son propre mouvement. Cette menace parut faire quelque impression sur le tympan de son oreille, qui était restée sourde tant que je m’en étais tenu à des prières, car il ralentit son pas de manière à ce que je pusse l’approcher.

  1. Hotspur, éperon chaud. a. m.