Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/196

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suffisent, dit-on, pour corrompre toute une fontaine, de même il y a assez de perfidie dans les confidences de Rashleigh pour corrompre le puits où l’on dit que la vérité même a habité ; car Rashleigh sait que j’ai trop de raisons de le bien connaître pour que rien au monde pût me forcer d’unir mon sort au sien. Non, » continua-t-elle avec une sorte de tressaillement qui semblait exprimer une horreur involontaire, « toute autre destinée plutôt que celle-là… L’imbécile, le joueur, le querelleur, le jockey, je les préférerais mille fois à Rashleigh ; le couvent, la prison, le tombeau plutôt qu’aucun d’eux. »

Il y avait dans sa voix un accent triste et mélancolique qui répondait parfaitement à ce qu’il y avait d’extraordinaire et d’intéressant dans sa situation. Si jeune, si belle, dépourvue d’expérience, ainsi abandonnée à elle-même, privée de l’appui qu’elle eut trouvé dans la présence et la protection d’une femme, n’ayant pas même cette espèce de défense que son sexe rencontre dans les formes et les égards de la vie civilisée… Je puis dire, presque sans métaphore, que mon cœur saignait pour elle. Cependant il y avait une expression de dignité dans son dédain de toute cérémonie… un sentiment droit dans son mépris pour la fausseté,… une fermeté de résolution dans la manière dont elle contemplait les dangers qui l’entouraient ; et ces nobles qualités mêlaient à ma compassion une admiration vive. On eût dit une princesse abandonnée par ses sujets et privée de sa puissance, mais méprisant encore ces vaines formes de la société, établies pour les personnes des rangs inférieurs ; et, au milieu de tous ses chagrins, se reposant avec courage et confiance sur la justice divine non moins que sur l’inébranlable fermeté de son âme.

J’essayai de lui exprimer les sentiments de pitié et d’admiration que m’inspiraient ses malheurs et son courage ; mais elle m’interrompit aussitôt.

« Je vous ai dit en plaisantant que je n’aimais pas les compliments… Je vous dis aujourd’hui sérieusement que je ne demande pas de pitié, et que je dédaigne les consolations. Ce que j’ai eu à souffrir, je l’ai souffert ; ce que j’ai à supporter encore, je le supporterai comme je pourrai. Aucune parole de commisération ne peut rendre le fardeau plus léger pour l’esclave qui est forcé de le porter. Il n’y a qu’un seul être au monde qui pourrait m’aider, et il a préféré ajouter à mon malheur… Rashleigh Osbaldistone… oui, il fut un temps où J’aurais pu apprendre à aimer