Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/187

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le ressentit pour lui ; les épées furent tirées, et nous échangeâmes quelques passes ; mais les autres frères nous séparèrent. Je n’oublierai jamais le rire diabolique qui fit grimacer les traits de Rashleigh, quand deux de ces jeunes Titans m’entraînèrent de force hors de la salle. Ils m’emprisonnèrent dans ma chambre en fermant la porte en dehors, et je les entendis, avec rage, rire aux éclats en descendant l’escalier. J’essayai dans ma fureur de briser la porte, mais les barres de fer qu’ils avaient mises rendirent mes efforts inutiles. Enfin, je me jetai sur mon lit, et je m’endormis au milieu des plus terribles projets de vengeance pour le lendemain.

Mais le matin amena le repentir. Je sentis, de la manière la plus vive, toute la folie et l’extravagance de ma conduite, et je fus obligé d’avouer que le vin et la passion avaient subjugué ma raison, et m’avaient rabaissé au-dessous de Wilfred Osbaldistone, qui m’inspirait tant de mépris. Ces attristantes réflexions n’étaient point adoucies par l’idée qu’il me faudrait excuser mon inconvenante conduite, et que miss Vernon serait témoin de mon humiliation. Le souvenir de mes fautes envers elle personnellement, pour lesquelles je ne pouvais même alléguer la misérable excuse de l’ivresse, ajoutait encore à mon tourment.

Abattu, accablé de honte, je descendis pour déjeuner, comme un criminel qui va entendre prononcer sa sentence. Un épais brouillard s’était opposé au départ pour la chasse, et j’eus la mortification de trouver toute la famille, excepté Rashleigh et miss Vernon, rassemblée autour d’un pâté de venaison et d’une longe de bœuf. Ils étaient dans une joie bruyante quand j’entrai, et je devinai facilement que j’étais l’objet de la risée. En effet, ce qui me causait tant de chagrin paraissait une excellente plaisanterie à mon oncle et à la plupart de mes cousins. Sir Hildebrand, en me raillant sur mes exploits de la veille, jura qu’il valait mieux qu’un jeune homme s’enivrât trois fois par jour que de s’en aller coucher à sec comme un presbytérien, en quittant une bande de joyeux compagnons et une double pinte de bordeaux. Et pour appuyer ces paroles de consolation, il me versa un énorme verre d’eau-de-vie, en m’exhortant à avaler « du poil de la bête qui m’avait mordu. »

« Laisse-les rire, mon neveu, continua-t-il ; ils auraient été des soupes au lait comme toi, si je ne les avais élevés entre la rôtie et la bouteille, comme on pourrait dire. »