Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/127

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la cuisine, dans la salle à manger, depuis un bout des vingt-quatre heures jusqu’à l’autre même leurs jours de jeûne… et ils appellent cela jeûner, quand on leur apporte au grand galop les meilleurs poissons de mer de Hartlepool et de Sunderland :… truites, aloses, saumons, que sais-je enfin ? de sorte qu’ils font de leur abstinence une espèce de luxure et d’abomination ; et puis les messes et les matines perdues de ces malheureuses âmes dupées… Mais je devrais me taire, car Votre Honneur est sans doute un romain comme les autres.

— Non, mon ami, je suis presbystérien anglais, ou non conformiste.

— La main droite de la bonne amitié à Votre Honneur, alors, » s’écria le jardinier avec autant de joie que ses traits grossiers étaient capables d’en exprimer ; et pour montrer que sa bienveillance ne se bornait pas à des paroles, il tira une énorme tabatière en corne, sa plate-bande, comme il l’appelait, et m’offrit une prise avec une grimace toute fraternelle.

Après avoir accepté, je lui demandai s’il y avait long-temps qu’il servait au château d’Osbaldistone.

« Ah ! dit-il en regardant le château, voilà bien vingt-quatre ans que je suis exposé aux bêtes sauvages d’Éphèse, aussi vrai que je me nomme André Fairservice.

— Mais, mon excellent ami André Fairservice[1], si votre religion et votre tempérance sont si fort choquées par les rites romains et la gloutonnerie des gens du nord, il me semble que vous avez sans motif fait une bien longue pénitence, car vous auriez pu vous placer chez des maîtres qui mangeassent moins et fussent plus orthodoxes dans leur culte. Ce n’est sans doute pas faute de talent si vous n’occupez pas une place mieux à votre convenance ?

— Il ne m’appartient pas de parler de mon savoir faire, » dit André ; en promenant avec complaisance ses yeux autour de lui ; « mais vraiment je sais façonner un jardin. Oh ! j’entends mon métier, car je suis de la paroisse de Dreepdaily, où l’on fait pousser les légumes sous verre et lever le plant bien avant la saison… Et, à vrai dire, voilà vingt-quatre ans que je recule de terme en terme ; mais quand le jour arrive, il y a toujours quelque chose à fleurir que je voudrais voir fleuri… ou quelque chose à mûrir que je voudrais voir mûr… ou quelque chose à semer que je

  1. Beau service. a. m.