Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/125

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et les dames le signal du départ, et moi, la seule femme qui soit au château d’Osbaldistone, je me retire suivant l’usage. »

À ces mots elle disparut, me laissant ébahi de la finesse, de la causticité et de la franchise qu’elle déployait dans la conversation. Je désespère de vous donner la moindre idée de son caractère, quoique je vous rapporte ses paroles aussi fidèlement que je puis m’en souvenir ; car son caractère était un mélange de simplicité naïve, de finesse naturelle, et de hardiesse étonnante, le tout modifié et rehaussé par le jeu de la plus belle physionomie que j’aie jamais vue. Quelque étrange et singulière que me parût cette excessive et confiante familiarité, il ne faut pas croire un jeune homme de vingt-deux ans assez sévère pour trouver mauvais qu’une jeune fille de dix-huit n’eût pas avec lui toute la retenue convenable. Au contraire, je m’amusais, j’étais flatté des confidences de ma jeune cousine, et cela bien qu’elle eût déclaré ne me les avoir faites que parce qu’en moi elle trouvait pour la première fois un auditeur capable de les comprendre. Avec la présomption de mon âge, qu’à coup sûr mon séjour en France n’avait guère diminuée, je m’imaginais que des traits réguliers et un extérieur agréable, avantages dont je me croyais favorisé, n’étaient pas de trop faibles titres à la confiance d’une jeune beauté. Ma vanité prenant donc cause pour miss Vernon, j’étais loin de la juger avec sévérité pour un abandon que justifiait, jusqu’à un certain point, à mes yeux, mon mérite personnel ; et mon penchant à la partialité, que le charme de sa figure et la bizarrerie de sa situation suffisaient déjà pour faire naître, ne pouvait qu’augmenter par le tact parfait qu’elle avait montré dans le choix d’un ami.

Dès que miss Vernon eut quitté la salle, la bouteille circula ou plutôt courut sans relâche autour de la table. Mon éducation faite en pays étranger m’avait inspiré un vif dégoût pour l’intempérance, vice trop commun alors, et même aujourd’hui encore, parmi mes compatriotes. Les discours qui assaisonnaient de telles orgies ne me plaisaient pas davantage ; et si quelque chose pouvait me les faire paraître plus révoltants, c’était de les entendre dans la bouche de personnes de ma famille. Je saisis donc une occasion favorable, et m’échappai par une porte latérale, conduisant je ne sais où, plutôt que de supporter davantage la vue d’un père se livrant avec ses fils à une dégradante débauche, et tenant avec eux les propos les plus grossiers. Je fus poursuivi,