Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/97

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attaché à sa fortune, mais non pas sans douter beaucoup et souvent jusqu’à quel point sa conduite, en servant les vues de ce général mystérieux et impénétrable, se conformait aux principes qui lui avaient mis les armes en main.

Pendant que ces différentes réflexions se présentaient en foule à son esprit, Éverard jeta les yeux sur la lettre qui se trouvait sur la table, adressée au lord général, et qu’il avait écrite avant de s’endormir. Il hésita plusieurs fois à l’envoyer, en s’en rappelant le contenu, en songeant aux engagements qu’il prenait avec ce personnage, et l’obligation forcée dans laquelle il se trouverait de favoriser ses plans d’agrandissement une fois que cette épître serait dans les mains d’Olivier Cromwell.

« Et pourtant il le faut, » dit-il enfin en poussant un grand soupir. « De toutes les factions qui s’entre-choquent, il est le plus fort… le plus sage et le plus modéré… Et quelle que soit son ambition, il n’est pas peut-être le plus dangereux ; il faut confier à quelqu’un le pouvoir de maintenir par force l’ordre général. Eh bien ! qui peut manier le pouvoir avec plus d’habileté que celui qui est à la tête des armées victorieuses de l’Angleterre ? Advienne que pourra par la suite ! la paix et le rétablissement des lois doivent être notre premier et plus puissant mobile. Ce reste de parlement ne peut demeurer de pied ferme contre l’armée par un pur appel à la sanction de l’opinion publique. S’il cherche à comprimer la force militaire, ce ne peut être que par la voie des armes, et le pays n’a que trop long-temps été abreuvé de sang. Mais Cromwell peut, et il le voudra, je pense, conclure un arrangement juste sur des bases qui pourront assurer la paix, et c’est à quoi nous devons songer, sur quoi il nous faut compter pour la prospérité du royaume ; hélas ! et pour éviter à mon entêté parent les conséquences d’une honnête mais absurde obstination. »

Faisant taire par de telles réflexions ses doutes et sa répugnance, Markham Éverard persista dans sa résolution de s’unir à Cromwell dans la lutte qui allait évidemment s’engager entre les autorités civiles et militaires : non pas que ce fût la route qu’il eût préféré suivre s’il eût été libre, mais c’était le plus sage parti qu’il eût à prendre entre deux périlleuses extrémités auxquelles les temps l’avaient réduit.

Il ne pouvait néanmoins s’empêcher de trembler en songeant que son père, qui avait jusqu’alors regardé Cromwell comme l’instrument qui avait exécuté tant de merveilles en Angleterre, pourrait