Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/81

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lède avec un ceinturon brodé et une poignée ciselée, au lieu de la tringle en fer que renferme ce fourreau recourbé de ce noir André Ferrara[1] ; inspirez-lui quelques propos grivois et, sang et blessures ! mademoiselle, dirai-je… — Allons, trêve de ces sottises, Wildrake, et dites moi si vous êtes en état d’entendre quelques mots de raison ? — Eh parbleu, l’ami ! j’ai seulement vidé une couple de bouteilles avec ces soldats puritains, ces Têtes-rondes, ici près, à la ville. Et du diable si je n’ai point passé pour le plus enragé de la troupe. Je me tordais le nez, je tournais le blanc de mes yeux tout en prenant mon gobelet… Ah ! le vin lui-même avait un goût d’hypocrisie. Je crois que le coquin de caporal fumait un peu à la fin… mais les simples soldats étaient doux comme des agneaux, au point de m’engager à dire le Benedicite pour une seconde bouteille. — C’est précisément ce dont je voulais vous parler, Wildrake… Vous me regardez, j’espère, comme votre ami ? — Fidèle comme l’acier… Camarades au collège et à Lincoln’s-Inn[2], nous fûmes Nysus et Euryale, Thésée et Pirithoüs, Oreste et Pylade ; et pour compléter la kirielle par une touche de puritanisme, David et Jonathan, c’est tout dire. Les opinions politiques mêmes, qui divisent les familles et tranchent l’amitié la plus sincère, comme le fer fend le chêne, n’ont pu parvenir à nous séparer. — C’est vrai, répondit Markham ; et quand vous suivîtes le roi à Nottingham, et que je m’enrôlai sous la bannière du comte d’Essex, nous jurâmes en nous quittant que, quel que fût le parti victorieux, celui de nous qui en serait protégerait son camarade moins heureux. — Sûrement, l’ami, sûrement ! ne m’avez-vous donc pas protégé ? ne m’avez-vous donc pas sauvé de la potence ? et ne vous suis-je pas redevable du pain que je mange ? — Je n’ai rien fait pour vous, mon cher Wildrake, que ce que vous eussiez fait à ma place en pareille circonstance si la fortune vous eût été favorable. Mais, comme je vous le disais, c’est précisément ce dont je voulais vous parler. Pourquoi rendre plus difficile qu’elle devrait jamais l’être la tâche de vous protéger ? Pourquoi vous jeter dans la compagnie de soldats ou coquins parmi lesquels vous êtes sûr de vous échauffer au point de vous trahir ? Pourquoi crier à tue-tête vos chansons de Cavaliers, comme un soldat ivre du prince Robert ou un rodomont des gardes-du-corps de Wilmot ? — Parce que je

  1. Fameux armurier italien. a. m.
  2. Au collège, signifie à l’Université, et à Lincoln’s-Inn, à l’École de droit de Londres, nom du quartier des gens de loi. a. m.