Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protégé d’Éverard, quoique cette liaison ne fût pas toujours avantageuse pour celui-ci. Ce respectable personnage, quand il résidait dans la maison de son patron, ou chez le vieux chevalier, rendait de petits services domestiques ; il avait gagné le cœur d’Alice par la complaisance qu’il avait pour ses enfants, en apprenant à ses trois garçons à monter à cheval, à faire des armes, à manier la pique, et d’autres exercices ; et il avait surtout gagné ses bonnes grâces à cause des égards qu’il avait pour son père, avec qui il faisait la partie d’échecs ou de trictrac ; il lui lisait Shakspeare, ou faisait l’office de clerc quand un prêtre persécuté se risquait à célébrer au château le service de l’Église d’Angleterre. Il rabattait le gibier tant que le vieux gentilhomme pût aller à la chasse ; surtout il lui parlait de l’assaut de Brentfort, des batailles d’Edgewill, de Banburg, de Roundway-Doun, sujets de conversation qui charmaient le vieux chevalier, mais qu’il ne pouvait entamer avec son beau-fils, le colonel Éverard ayant gagné sa réputation militaire au service du parlement.

Les distractions que lui procurait la société de Wildrake eurent encore plus de prix à ses yeux après la mort du brave Albert, son fils unique, qui fut tué à la fatale bataille de Dankirk, où les couleurs anglaises étaient malheureusement déployées dans les rangs opposés, car dans le même temps qu’Olivier Cromwell fournissait un secours d’hommes aux Français ses alliés, les troupes du roi banni combattaient en faveur des Espagnols. Sir Henri reçut cette douloureuse nouvelle en vieillard, c’est-à-dire avec plus de fermeté apparente qu’on ne l’aurait attendu. Pendant des semaines et des mois il relisait quelques lignes que lui avait fait parvenir l’infatigable docteur Rochecliffe, signées en petits caractères d’un C et R, et plus bas, Louis Kerneguy, dans lesquelles l’auteur de la lettre l’engageait à supporter cette perte inappréciable avec d’autant plus de fermeté qu’il lui restait encore un fils (voulant parler de lui-même) qui le considérait toujours comme un père.

Mais, en dépit de ce baume consolateur, le chagrin le minait intérieurement, et, lui suçant le sang comme un vampire, semblait graduellement épuiser en lui les sources de la vie ; et sans aucune maladie caractérisée, sans aucun mal apparent, le vieillard perdit insensiblement la force et la vigueur, et l’assistance de Wildrake lui devint de jour en jour plus nécessaire.

Cependant il n’était pas toujours sédentaire. Le Cavalier était un de ces hommes heureux à qui une constitution robuste, un esprit