Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/428

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tre élevé au dessus de la multitude ; mais quand on sent que cette élévation attire plus de haine et de mépris que d’amour et de respect, c’est une chose cruelle à supporter pour un esprit doux et pour une conscience tendre et timide. Et Dieu m’est témoin que plutôt que de faire ce que je vais faire, je verserais vingt fois le meilleur de mon sang sur un champ de bataille. » Ici il fondit en larmes, ce qui n’était pas très naturel chez lui ; et cet excès d’attendrissement avait un caractère singulier. Ce n’était point alors l’effet du repentir, encore moins d’une complète hypocrisie ; c’était une suite du tempérament de cet homme extraordinaire, chez qui une politique profonde et un ardent enthousiasme se mêlaient à des mouvements hypocondriaques qui lui faisaient souvent donner de pareils spectacles toutes les fois qu’il allait, comme en cette circonstance, exécuter quelque grand projet.

Pearson, qui connaissait parfaitement le caractère de son général, ne fut pas moins surpris et confondu de cet accès d’hésitation et de repentir qui semblait paralyser subitement son esprit entreprenant. Après un moment de silence, il dit d’un ton assez sec : « S’il en est ainsi, Votre Excellence a mal fait de venir ici. Le caporal Humgudgeon et moi, le plus grand saint et le plus grand pécheur de l’armée, nous eussions fait l’affaire et partagé le crime et l’honneur. — Ah ! » dit Cromwell, comme piqué au vif, « voudrais-tu enlever la proie au lion ? — Si le lion, » répondit Pearson hardiment, « se conduit en chien de village qui tantôt aboie et semble vouloir tout dévorer, et tantôt fuit devant un bâton levé ou une pierre, je ne vois pas pourquoi je le craindrais. Si Lambert eût été ici, il aurait moins parlé, et plus agi. — Lambert ! que dis-tu de Lambert ? » lui demanda Cromwell vivement. — « Je dis seulement, répliqua Pearson, que j’ai long-temps hésité si je m’attacherais à lui ou à Votre Excellence, et je commence à douter n’avoir bien choisi, voilà tout. — Lambert ! » s’écria Cromwell avec impatience, mais en baissant la voix de peur qu’on ne l’entendît déprécier le caractère de son rival. « Qu’est-ce que Lambert ? un fou de tulipes, que la nature avait fait pour être jardinier hollandais à Delft ou à Rotterdam. Ingrat que tu es, qu’est-ce que Lambert aurait pu faire pour toi ? — Il ne serait pas resté indécis devant une porte fermée, répondit Pearson, quand le hasard lui offre les moyens d’assurer d’un seul coup sa fortune et celle de tous ceux qui l’ont suivi. — Tu as raison, Gilbert Pearson, » lui dit Cromwell en lui serrant affectueusement la main ; « que la moitié de ce grand compte