Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/42

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Toutefois je ne prétends pas expliquer certains passages obscurs avec le talent de mon maître, car j’ai peu d’instruction, et ma science de campagnard se borne à savoir me battre et chasser. — Avez-vous vu Shakspeare, mon père ? — Jeune folle ! j’étais encore enfant quand il mourut… Tu me l’as entendu répéter au moins trente fois ; mais tu voudrais me détourner d’un sujet qui me tient au cœur. Soit : je ne suis pas aveugle, mais je veux bien fermer les yeux et me laisser conduire. J’ai connu Ben Johnson, et je pourrais te conter bien des anecdotes de nos réunions à la Sirène[1], où, si l’on y buvait beaucoup de vin, on faisait aussi beaucoup d’esprit. Nous ne restions pas simplement assis, occupés à nous lancer les uns aux autres la fumée de nos pipes, ou tournant le blanc de nos yeux comme l’anse des chopines. Le vieux Ben m’adopta comme un de ses fils ès-muses. Je vous ai montré, je crois, les vers qu’il m’adressa sous ce titre : « À mon fils bien-aimé le respectable sir Henri Lee de Ditchley, chevalier et baronnet ? — Je ne me les rappelle pas en ce moment, mon père. — J’ai peur que vous ne mentiez, fille, mais ce n’est rien…. Tu ne me feras pas déraisonner davantage quant à présent. Le mauvais esprit a, pour le moment, laissé Saül ; nous allons maintenant songer aux préparatifs nécessaires pour quitter Woodstock ou le défendre. — Mon très cher père, pouvez-vous nourrir encore le moindre espoir de tenir bon dans la place ? — Je ne sais… mais j’aurais pourtant bien du plaisir à les battre encore une fois, c’est certain… Et qui sait sur qui peut tomber la bénédiction du ciel ? Mais alors les pauvres diables qui me seconderaient dans une résistance si désespérée… Cette réflexion m’arrête, je l’avoue. — Oh ! puisse-t-elle vous arrêter, mon père, car il y a des soldats en ville et trois régiments à Oxford. — Ah ! pauvre Oxford ! » s’écria sir Henri, ce seul mot suffisant pour faire tourner son esprit indécis vers chaque nouveau sujet qui se présentait. « Siége de science et de loyauté ! cette grossière soldatesque ne convient guère à tes doctes salles et à tes poétiques bosquets ; mais ta lampe pure et brillante défiera le souffle impur d’un millier de rustres, soufflassent-ils comme Borée, et le buisson ardent ne sera pas consumé, même par le feu de cette persécution ! — En effet, mon père ; et il peut n’être pas inutile de vous rappeler que toute révolte de royalistes, dans ce moment de crise, rendrait vos ennemis encore plus furieux contre l’Université,

  1. Taverne de Londres, lieu de rendez-vous des poètes d’alors, comme le café Procope à Paris, du temps de Voltaire et de Piron. a. m.