Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/403

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fut certain de sa présence qu’après l’avoir appelé deux ou trois fois, et que Jocelin eut répondu au signal en laissant échapper un rayon de clarté de sa lanterne sourde. Guidé par cette lumière, le ministre le trouva adossé contre un pilier qui avait autrefois soutenu une terrasse alors en ruine. Il était muni d’une pioche et d’une pelle, et avait une peau de daim sur les épaules.

« Que prétendez-vous faire avec cette peau, demanda le docteur, pour vous en charger dans une pareille expédition ? — Ma foi, voyez-vous, docteur, autant vaut que je vous conte toute l’histoire. L’homme et moi, cet homme-là, vous savez bien de qui je veux parler, nous eûmes, il y a bien des années, une querelle à propos de ce cerf ; car, quoique nous fussions grands amis, et que parfois Philippe obtînt de mon maître la permission de me seconder dans ma charge, pourtant je savais, après tout, que de temps à autre Philippe Hazeldine braconnait. Les traqueurs de daims étaient des gaillards déterminés dans ces temps-là ; car c’était avant le commencement de la guerre, et on se croyait tout permis. Eh bien ! il arriva qu’un jour, dans le parc, je rencontrai deux drôles, la figure noircie, et leurs chemises par dessus leurs vêtements, qui emportaient entre eux deux un aussi beau cerf qu’il y en eut jamais dans ces bois. Je les rejoignis bien vite : un s’échappa, mais j’empoignai l’autre coquin, qui était notre ami Philippe Hazeldine. Eh, dame ! je ne sais si j’ai bien ou mal fait ; mais c’était une vieille connaissance, un camarade de bouteille, et il me jura de s’amender, et m’aida à suspendre le daim à un arbre. Je revins ensuite avec un cheval pour l’emporter à la Loge, après avoir tout conté au chevalier, sauf le nom de Philippe, que je tus. Mais les scélérats avaient été trop rusés pour moi, car ils avaient écorché, paré, comme on dit, et coupé le daim en morceaux, puis l’avaient emporté, ne laissant que la peau et le bois, plus un papier, sur lequel on lisait :

La hanche pour toi,
La poitrine pour moi.

Les cornes et la peau pour les gages du garde.

Je savais bien que c’était un des méchants tours que Philippe aurait joués dans ce temps-là à tout autre garçon du pays ; mais je fus si piqué que je fis nettoyer et apprêter la peau du daim par un tanneur, et jurai qu’elle lui servirait de linceul à lui ou à moi ; et, quoique je me sois long-temps repenti de mon téméraire serment, pourtant aujourd’hui, docteur, vous voyez qu’il va s’accomplir. Je