Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/397

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se mettre en route avec votre fils, au moment où il arrivera. — C’est étrange ! voilà quarante-un ans que j’habite cette maison, enfant d’abord, puis homme fait, et notre seule peine était d’aviser aux moyens de pouvoir passer le temps ; car sans mes parties de chasse, j’aurais pu rester là assis dans mon fauteuil, aussi tranquillement qu’une marmotte endormie d’un bout de l’année à l’autre ; et maintenant je suis plutôt comme un lièvre qui n’ose dormir que les yeux ouverts, et prend la fuite dès que le vent siffle dans la fougère. — Il est étrange, » dit Alice en fixant ses regards sur le docteur, « que le maître d’hôtel Tête ronde ne vous en ait rien dit ; il est ordinairement assez communicatif sur les mouvements de son parti ; je vous ai vu tête-à-tête ce matin avec lui. — Nous en aurons encore un ce soir, et plus intime, » répondit le docteur d’un air sombre ; « mais il ne bavardera pas. — Je voudrais que vous ne lui accordassiez pas autant de confiance, lui dit Alice ; quant à moi, la figure de cet homme, malgré sa finesse, me semble de si mauvais augure que je crois lire la trahison dans ses yeux. — Soyez sûre que tout est pour le mieux, » répliqua le docteur d’un ton aussi sinistre que la première fois. Personne n’ajouta rien, et un sentiment de crainte glacial et inquiet sembla s’emparer subitement de la compagnie, comme ces sensations qui, chez les personnes dont le tempérament est particulièrement sujet à ressentir les influences électriques, leur font pressentir l’orage.

Le monarque déguisé, apprenant qu’il devait se tenir prêt à quitter au moindre avis l’asile qu’on lui avait offert momentanément, avait bien aussi sa part de tristesse, mais il fut le premier à la dissiper, car elle ne convenait nullement ni à son caractère ni à son état. Il était naturellement gai, et sa position exigeait de la présence d’esprit, et non du découragement.

« Le temps se passe bien moins vite quand on se livre à la mélancolie. Ne vaudrait-il pas mieux que nous chantassions ensemble, miss Alice, le joyeux adieu de Patrick Carey[1] ? Ah ! vous ne connaissez point Pat Carey, le frère cadet de lord Falkland[2]. — Être frère de l’immortel lord Falkland, et composer des chansons ! s’écria le docteur. — Ah ! docteur, les Muses prennent leur dîme aussi bien que l’Église, et ont leur part dans chaque famille de distinction. Vous ne savez pas les paroles, miss Alice, mais vous pouvez du moins répéter le refrain avec moi :

  1. Poète du temps. a. m.
  2. Royaliste d’alors. a. m.