Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/374

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france ; pensant comme Laban, disait-il : « vous m’avez pris mes dieux, que me reste-t-il ? » Il existait, comme on peut le voir, peu de cordialité entre les deux antagonistes en polémique.

Mais Joseph Tomkins était plus affligé de la mauvaise opinion que paraissait avoir de lui une personne aux bonnes grâces de qui il tenait beaucoup plus qu’à celles de Néhémiah Holdenough. Cette personne n’était autre que la jolie mistress Phœbé May-Flower, dont il aurait désiré entreprendre la conversion, depuis qu’il lui avait entendu faire cette sortie contre Shakspeare, le premier jour de son arrivée à la Loge. Il semblait pourtant souhaiter de mettre son projet à exécution, surtout dans le tête-à-tête, et principalement le cacher à Jocelin Joliffe, de peur que par hasard il n’en devînt jaloux. Mais ce fut en vain qu’il prêcha la fidèle suivante, tantôt en lui récitant des cantiques, tantôt avec des passages extraits de l’Arcadie de Green[1], ou avec des citations de Vénus et d’Adonis, ou bien encore des doctrines d’une nature plus abstraite, tirées d’un ouvrage populaire intitulé le Chef-d’Œuvre d’Aristote[2]. Mais que sa galanterie parlât un langage sacré ou profane, physique ou métaphysique, elle n’en état pas mieux écoutée de Phœbé May-Flower.

D’un côté, la jeune fille aimait Jocelin Joliffe ; de l’autre, si Joseph Tomkins, le premier jour qu’elle l’avait vu, lui avait déplu comme un puritain rebelle, elle n’était point revenue de son aversion depuis qu’elle avait des raisons pour le regarder comme un libertin hypocrite. Elle le haïssait donc doublement ; elle ne souffrait jamais qu’il lui parlât que quand elle ne pouvait pas faire autrement ; et si elle était obligée de rester avec lui, elle l’écoutait seulement parce qu’elle le savait dépositaire de secrets si importants, que son ressentiment pourrait compromettre la sûreté de la famille dans laquelle elle était née et avait été élevée, et qui lui inspirait un attachement sans bornes. C’est peut-être par la même raison qu’elle ne laissait jamais éclater son aversion contre le maître d’hôtel en présence de Jocelin Joliffe qui, en qualité de forestier et de soldat, aurait probablement eu avec lui une explication dans laquelle son couteau de chasse et son gourdin auraient été des armes inégales contre la longue rapière et le pistolet que son dangereux rival portait toujours à sa ceinture. Mais il est difficile d’aveugler la jalousie quand elle a quelque sujet de doute ; et peut-être l’active

  1. Auteur du temps. a. m.
  2. Une des premières compositions de Shakspeare. a. m.