Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/365

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ce titre, ou au moins comme un homme qui, je puis le dire, souhaite sincèrement votre bonheur. »

L’âme généreuse d’Éverard fut vivement attendrie ; il prit la main du roi et la pressa contre ses lèvres.

« Ah ! dit-il, il viendra des temps plus heureux ! — Ne vous engagez à rien, cher Éverard, » répondit l’excellent prince qui partageait son émotion ; « nous raisonnons mal quand notre cœur est ému. Je ne veux point engager dans mon parti un homme pour le perdre ; je ne veux point envelopper dans ma ruine ceux qui auront eu assez d’humanité pour s’être intéressés à mon sort. S’il vient des temps meilleurs, en bien, nous nous reverrons ; et nous en serons, je pense, satisfaits tous deux ; sinon, comme le disait votre futur beau-père (un sourire bienveillant se dessina sur son visage et s’accorda très bien avec l’expression de ses yeux pleins de vivacité)… sinon, adieu pour toujours. »

Éverard le quitta après un profond salut, en proie aux sentiments les plus opposés. Le plus vif de ces sentiments était une véritable admiration de la générosité avec laquelle Charles, au péril de sa vie, avait dissipé l’obscurité où semblait devoir s’éteindre l’espoir du bonheur de toute sa vie ; les périls qui l’environnaient y entraient aussi pour beaucoup. Il revint à la petite ville, suivi de son compagnon Wildrake, qui se retourna tant de fois, les yeux humides, élevant ses mains jointes vers le ciel, comme un homme qui prie, qu’Éverard fut obligé de lui rappeler que ces gestes pourraient être observés et exciter des soupçons.

La conduite généreuse du roi dans la dernière partie de cette scène remarquable n’avait pas échappé à Alice. Arrachant de son cœur le ressentiment qu’y avait excité la conduite précédente de Charles, et les soupçons mérités qu’elle avait conçus contre lui, elle rendit justice à la bonté naturelle du prince, et se trouva ainsi en état de concilier son affection avec le respect qu’elle avait pour son rang, respect que son éducation lui avait appris à considérer comme un devoir religieux. Elle s’abandonna à la conviction consolante que les vertus de Charles lui appartenaient ; que la liberté blâmable de ses mœurs venait de son éducation, ou plutôt du manque d’éducation, et des conseils corrupteurs des flatteurs et des courtisans. Elle ne pouvait pas savoir, ou peut-être elle ne voulait pas réfléchir en ce moment, que si l’on ne prend soin d’arracher les mauvaises herbes, elles étouffent la moisson, quand même le sol est plus disposé à la nourrir. Car, ainsi que le docteur Roche-