Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peut-être entrait-il dans cette résolution une conviction secrète que cette rencontre ne lui serait pas fatale. Il était dans la fleur de la jeunesse, agile dans tous ses exercices et nullement au dessous du colonel Éverard dans l’art de manier l’épée, autant qu’il pouvait en juger par l’essai du matin. Du moins de telles idées se présentèrent à sa pensée royale pendant qu’il fredonnait en lui-même un refrain bien connu qu’il avait appris pendant son séjour en Écosse :

On peut boire sans se griser,
Se battre sans qu’on vous étrille,
Et, vainqueur d’une jeune fille,
Espérer un nouveau baiser.[1]

Cependant l’affairé docteur Rochecliffe, qui aimait à se mêler de tout, était parvenu à prévenir Alice qu’elle eût à lui donner une audience particulière. En effet, elle le trouva au rendez-vous qu’il lui avait assigné dans l’appartement qu’on appelait le cabinet d’étude, autrefois rempli de vieux livres qui, depuis long-temps convertis en cartouches, avaient fait plus de bruit dans le monde de cette manière que pendant tout le temps qui s’était écoulé depuis leur première publication jusqu’alors. Le docteur s’assit dans un large fauteuil de cuir à dos élevé, et fit signe à Alice de prendre un tabouret et de s’asseoir devant lui.

« Alice, » dit le vieillard en lui prenant la main avec affection, « vous êtes une bonne fille, une fille sage, une vertueuse fille, une de ces filles dont la valeur est bien au dessus des rubis, non que rubis soit la traduction convenable… mais rappelez-moi de vous en parler une autre fois… Alice, vous savez qui est Louis Kerneguy ; allons, n’hésitez pas devant moi ; je sais tout, je suis au mieux informé de toute l’affaire… Vous savez que cette maison est assez heureuse pour renfermer la fortune de l’Angleterre… » Alice se disposait à répondre. « Non, ne parlez pas, mais écoutez-moi, Alice… Comment se comporte-t-il à votre égard ? »

Alice ne put s’empêcher de rougir. « Je suis, dit-elle, une pauvre fille élevée à la campagne, et ses manières sentent trop la cour pour moi. — Assez !… je sais tout… Alice, il va courir un grand danger demain matin ; vous seule pouvez trouver moyen de

  1. Voici le quatrain du texte :
    A man may drink and not be drunck,
    A man may fight and not be slain,
    A man may kiss a bonnie lass,
    And yet be wellcome back again.
    a. m.