Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/335

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Charles resta muet, frappé de la tournure qu’avait prise une conversation qui mettait, contre son attente, ses propres intérêts en contact avec la satisfaction de sa passion.

« Si Votre Majesté, » dit Alice en s’inclinant avec respect, « n’a plus d’ordres à me donner, puis-je lui demander la permission de me retirer ? — Demeurez encore un peu, fille étrange et intraitable, et répondez seulement à une question… Est-ce la position dans laquelle je me trouve actuellement qui vous fait dédaigner mon amour ? — Je n’ai rien à cacher à mon souverain, et ma réponse sera aussi claire, aussi précise que sa question. Si j’avais pu m’abandonner à un acte de folie ignominieuse, insensée, ingrate, il aurait fallu que je fusse aveuglée par cette passion, qui est, je crois, alléguée comme excuse de la folie et du crime plus souvent qu’elle n’a une existence réelle. Bref, il faudrait que j’eusse été prise d’amour, comme on dit, et la chose aurait pu arriver à l’égard de mon égal. Mais certainement jamais avec mon souverain, qu’il fût roi de titre seulement, ou en possession de son royaume ! — Cependant la loyauté fut toujours l’orgueil, presque la passion dominante de votre famille, Alice. — Et puis-je confondre cette loyauté avec une aveugle condescendance à mon souverain, en lui permettant d’exécuter une pensée déshonorante pour lui comme pour moi ? Dois-je, en ma qualité de fidèle sujette, le seconder dans une folie qui pourrait encore mettre une autre entrave dans le chemin de sa restauration, et ne servirait même qu’à compromettre sa sûreté, fût-il assis sur son trône ? — En ce cas, » dit Charles avec mécontentement, « j’eusse mieux fait de garder le rôle de page que de prendre le titre de souverain, qui, ce me semble, est inconciliable avec mes désirs. — Ma candeur ira plus loin encore, j’aurais pu ne pas mieux écouter Louis Kerneguy que l’héritier de la Grande-Bretagne ; car l’amour que j’ai à donner, et qui ne ressemble pas à celui que j’ai lu dans les romans, ou entendu débiter dans des chansons, cet amour s’est déjà fixé ailleurs. Ceci afflige Votre Majesté… j’en suis réellement peinée ; mais les plus salutaires médecines sont souvent amères. — Oui, » répondit le roi avec quelque aigreur ; « mais les médecins sont assez raisonnables pour ne pas exiger que leurs malades les avalent comme si c’étaient rayons de miel… Elle est donc vraie cette histoire que l’on débite sur le compte du cousin le colonel ; et la fille du loyal Lee a donc donné son cœur à un rebelle fanatique ? — Mon amour était donné avant que ces mots de fanatique et de rebelle me fussent connus. Je ne l’ai pas repris, car