Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Est-ce ainsi qu’il me fallait amener à souiller un sépulcre blanchi, comme le sophiste Milton ? — Je trouve, dit Éverard, que vous me traitez durement, sir Henri. Vous me pressez… vous me défiez de produire des poésies aussi bonnes une celles de Shakspeare. J’ai voulu seulement citer des vers de Milton, et non pas parler de ses opinions politiques. — Oh ! monsieur, répliqua sir Henri, nous connaissons bien votre habileté à faire des distinctions ; vous pouvez faire la guerre contre la prérogative du roi, sans en vouloir le moins du monde à sa personne. Oh ! le ciel me pardonne ! mais il vous entendra et vous jugera. Emportez vos rafraîchissements, Phœbé (elle arrivait chargée de flacons). Le colonel Éverard n’a point soif… Vous vous êtes essuyé les lèvres et vous avez dit ensuite que vous n’aviez pas fait de mal. Mais quoique vous ayez trompé un homme, vous ne pouvez tromper Dieu. »

Ainsi chargé à la fois par le chevalier des fautes imputées et à toute sa secte religieuse et à son parti politique, Éverard sentit trop tard de quelle imprudence il s’était rendu coupable en donnant à son oncle une si grande prise sur lui-même, lorsqu’il s’était permis de contredire son goût en poésie dramatique. Il tâcha de s’expliquer, de s’excuser.

« Je m’étais mépris sur votre honorable intention, monsieur, et je pensais que vous désiriez réellement connaître un échantillon de notre littérature. Et en vous récitant des vers que je ne croyais pas indignes d’être entendus de vous, je déclare que, loin d’exciter votre indignation, je croyais au contraire vous être agréable… — Oh ! sans doute, » répliqua le chevalier avec un ton de ressentiment toujours aussi amer… « déclarez… déclarez… Oui, c’est une nouvelle formule de protestation qui remplace le jurement profane des courtisans et des Cavaliers… Oh ! monsieur, déclarez moins, et faites plus… Je vous souhaite le bonjour… Maître Kerneguy, vous pourrez venir vous rafraîchir dans mon appartement. »

Pendant que Phœbé demeurait ébahie d’étonnement de la querelle subite qui s’était élevée, le dépit et le ressentiment du colonel Éverard ne firent qu’augmenter lorsqu’il remarqua l’air indifférent du jeune Écossais qui, les mains dans les poches (position adoptée à la cour dans les derniers temps), s’était jeté dans un des antiques fauteuils. Ordinairement trop poli pour rire aux éclats, et possédant ce talent du rire intérieur par lequel les hommes du monde croient pouvoir, sans blesser les convenances, s’abandonner à leur joie sans s’exposer à des querelles, ni offenser directement