Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprits, Donne, Coweley, Waller et beaucoup d’autres, de produire un poète qui eût la dixième partie du génie du vieux Will.

« Ma foi, on dit que nous avons un de ses descendans au milieu de nous… Sir William d’Avenant, observa Louis Kerneguy ; et bien des gens pensent que c’est un gaillard aussi habile que son aïeul. — Comment ! s’écria sir Henri… Will d’Avenant, que j’ai connu dans le Nord, officier sous Newcastle, quand le Marquis était devant Hall ?… Ma foi, c’est un honnête Cavalier, et il ne versifie pas mal ; mais comment et à quel degré est-il parent de Will Shakspeare ? — Ma foi ! repartit le jeune Écossais, il l’est du côté le plus sûr et d’après la vieille mode. Si d’Avenant dit vrai, il paraîtrait que sa mère était une bonne réjouie, une rieuse, une gaillarde maîtresse d’auberge entre Stratford et Londres, où Will Shakspeare descendait souvent lorsqu’il allait visiter sa ville natale ; et que par suite d’amitié et de compérage, comme nous disons en Écosse, Will Shakspeare devint grand-père de Will d’Avenant ; et non content de cette parenté spirituelle, le jeune Will en réclame une naturelle, alléguant que sa mère était grande admiratrice de l’esprit, et qu’elle ne mettait pas de bornes à sa complaisance pour les hommes de génie. — Fi ! l’impudent ! dit le colonel Éverard ; voudrait-il se taire la réputation de descendre d’un poète ou d’un prince aux dépens de la bonne renommée de sa mère ? il mériterait qu’on lui fendît le nez. — La chose serait difficile, » répondit le prince déguisé en se rappelant la physionomie toute particulière du barde.

« Will d’Avenant, fils de Will Shakspeare ! » dit le chevalier qui n’était pas encore revenu de sa surprise, en raison d’une prétention aussi outrée. « Ma foi, voilà qui me rappelle quelques vers d’une pièce qu’on jouait aux marionnettes de Phaéton, où ce héros se plaint à sa mère :

D’ailleurs, tout le village a fait mépris de moi :
Toi, le fils du Soleil, coquin, éloigne-toi[1].

Je n’ai jamais ouï dire de ma vie témérité si impudente !… Will d’Avenant, fils du plus illustre, du meilleur poète qui est, qui fut ou qui sera jamais !… Mais je vous demande pardon, neveu… vous n’aimiez pas, je crois, les pièces de théâtre. — Je ne suis pas tout-à-fait aussi sévère que vous me voudriez faire, mon oncle. Je ne les

  1. Nous lisons ces vers dans ans farce de Fielding, Tumble-Down-Dick, fondée sur la même histoire classique. Comme ils étaient connus du temps de la république, il faut qu’ils aient été transmis à l’auteur de Tom Jones par tradition ; car personne ne soupçonnera l’auteur du présent livre de faire cet anachronisme. a. m.