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distinguait alors ceux du parti victorieux qui prenaient la peine de s’habiller avec soin, et qui dans leur conduite… (ceci ne s’applique qu’aux classes les plus élevées et les plus respectables…) joignaient l’austérité des mœurs au décorum de leur extérieur. Le prince avait encore un désavantage qui rendait plus sensible l’inégalité qui existait entre l’étranger et lui : c’était la force musculaire de celui qui le contraignait de subir cet entretien, l’air d’autorité et de détermination répandu sur son visage, une longue rapière suspendue à son côté gauche, un poignard ou une dague attachée à droite à son ceinturon, et de plus une paire de pistolets. Tout cela aurait suffi pour assurer l’avantage à l’inconnu… Louis Kerneguy n’ayant d’autre arme que son épée, quand même sa force personnelle aurait été moins inférieure à celle de l’homme qu’il avait si inopinément rencontré.

Charles maudit le mouvement inconsidéré de dépit qui l’avait réduit à cette situation critique, et il regretta d’avoir laissé à la Loge ses pistolets, la seule arme qui eût pu rétablir l’équilibre entre le faible et le fort. Il montra pourtant le courage et la présence d’esprit qui, depuis des siècles, n’avaient manqué à aucun des membres de sa famille infortunée. Il demeura immobile sans laisser paraître d’émotion, son manteau couvrant la partie inférieure de son visage, pour donner le temps à l’étranger de s’expliquer dans le cas où il se serait mépris.

Ce sang-froid ne manqua pas son effet, car l’étranger s’écria d’un air incertain et surpris : — Jocelin Joliffe, n’est-ce pas toi ? Si je ne connais pas Jocelin Joliffe, je reconnais au moins mon manteau. — Je ne suis pas Jocelin Joliffe, monsieur, comme vous dites, » répondit froidement Kerneguy, en se redressant pour montrer la différence de sa taille et écartant son manteau.

« C’est vrai, » répliqua l’étranger confondu. « Alors, monsieur l’inconnu, je dois vous exprimer mon regret de m’être servi de ma canne pour vous prier de vous arrêter. D’après ce manteau, que je reconnais certainement pour le mien, j’avais conclu que vous deviez être Jocelin à qui j’avais confié la garde de mes effets à la Loge. — Quand c’eût été Jocelin, monsieur, » répliqua le faux Kerneguy, toujours avec le même sang-froid, « vous n’auriez pas dû frapper si fort. »

L’étranger fut évidemment confus du calme et de la fermeté avec laquelle on lui répondait. Un sentiment de politesse le porta d’abord à renouveler ses excuses pour la méprise qu’il avait commise