Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/301

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valier son père. Quelques assauts d’armes, dans lesquels Charles eut soin de ne pas déployer toute son habileté ni toute la force et l’activité de sa jeunesse ; la patience d’écouter quelques scènes de Shakspeare, que le chevalier lisait avec plus d’enthousiasme que de goût ; quelque talent en musique, art dans lequel le vieillard avait été grand amateur ; la déférence qu’il affectait pour quelques opinions surannées dont il riait en lui-même, tout cela était plus que suffisant pour obtenir au prince déguisé l’amitié de sir Henri Lee, et lui concilier au même degré la bienveillance de son aimable fille.

Il n’y eut jamais deux jeunes gens dont on pût dire qu’ils commencèrent un pareil genre de liaison avec des avantages si inégaux. Charles était un libertin ; et si de sang-froid il ne formait pas le dessein de conduire sa passion pour Alice à une conclusion déshonorante, il pouvait à chaque instant céder à la tentation de mettre à l’épreuve une vertu à laquelle il ne croyait pas. Alice de son côté savait à peine ce que signifiaient les mots de libertin et de séducteur : sa mère était morte dans les premiers temps de la guerre civile, et elle avait été élevée presque exclusivement avec son frère et son cousin. Il en était résulté que ses manières étaient celles d’une jeune fille inconséquente qui ne redoute rien et ne soupçonne rien. Charles pouvait, devait peut-être interpréter cette liberté d’Alice d’une manière favorable à ses propres vues ; de plus, l’amour d’Alice pour son cousin… cette première émotion qui inspire au cœur le plus simple et le plus innocent un sentiment de réserve et de crainte à l’égard des hommes en général, n’avait point éveillé cette alarme dans son sein, car ils étaient proches parents. Éverard, quoique jeune, était plus âgé qu’elle de quelques années, et dès son enfance il avait été l’objet de son respect autant que de son affection. Quand cette intimité enfantine se changea en un amour déclaré et payé de retour, elle différa toujours en quelque point de la passion qui existe entre deux amants qui ont vécu étrangers l’un à l’autre jusqu’au moment où leurs affections se sont unies par l’effet ordinaire de la galanterie. Leur amour était plus tendre, plus familier, plus confiant, peut-être aussi plus pur et moins exposé à des accès de passion violente et aux craintes de la jalousie.

La possibilité qu’un autre homme se déclarât le rival d’Éverard dans son cœur ne s’était jamais présentée à l’esprit d’Alice, et il ne lui était jamais venu à l’idée que ce singulier Écossais avec lequel