Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/286

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à nous autres échappés de Worcester. Pourtant ce n’est point ma propre sûreté qui me rend inquiet. — Et pour qui le seriez-vous donc ?… Tous les bruits s’accordent à dire que le roi n’est plus sous la dent du chien. — Non sans quelque danger pourtant, » dit à voix basse Louis, pensant à sa rencontre avec Bévis le soir précédent.

« Oui, non sans danger, répéta le chevalier ; mais comme dit le vieux Will[1] :

Quelque chose de si divin
Entoure un monarque suprême,
Que la trahison elle-même
N’ose observer son front serein.

Oui, oui… grâce à Dieu ! on y a veillé ; notre fortune, notre espoir est parvenu à s’échapper, toutes les nouvelles l’assurent ; échappé de Bristol… Si je pensais autrement, Albert, je serais aussi triste que vous. Du reste, je me suis caché pendant un mois dans cette demeure à une époque où ma découverte eût occasionné ma mort ; c’était après le soulèvement de lord Holland et du duc de Buckingham à Kingston ! Et que je sois pendu si j’ai jamais pensé une seule fois à froncer le sourcil comme vous le faites ; mais j’ai enfoncé mon chapeau sur ma tête, et me suis moqué de l’infortune comme tout Cavalier doit le faire. — Si je pouvais hasarder un mot, dit Louis, ce serait pour assurer au colonel Albert Lee que je crois fermement que le roi, quelle que soit la position dans laquelle il se trouve en ce moment, serait bien plus malheureux s’il apprenait le découragement de quelqu’un de ses plus fidèles sujets. — Vous répondez hardiment au nom du roi, jeune homme, dit sir Henri. — Oh ! mon père était si souvent prés de lui, » répondit Louis se rappelant le rôle qu’il jouait.

« Je ne m’étonne donc pas que vous ayez sitôt repris votre bonne humeur et vos bonnes manières quand vous avez appris l’évasion de Sa Majesté. Ma foi, vous ne ressemblez pas plus au jeune homme que nous avons vu hier au soir, que le meilleur cheval de chasse que j’aie jamais eu ne ressemble à un cheval de charrette. — Oh ! un bon lit, un bon repas et la main d’un domestique font beaucoup, répondit Louis. On ne reconnaîtrait guère la rosse fatiguée dont on est descendu la veille, quand on la revoit le lendemain matin, se cabrant et hennissant, reposée, rassasiée, et prête à recommencer la course, surtout si l’animal est de bonne race, car ce

  1. C’est ici le vieux Shakespeare. a. m.