Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/271

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de son oncle maternel, Markham Éverard ; mais, comme son père et lui ont embrassé le parti des Têtes-rondes, les familles se sont conséquemment brouillées, et tous projets d’alliance, autrefois formés, ont par suite été depuis long-temps abandonnés de part et d’autre. — Tu es dans l’erreur, Albert, » répliqua le roi, poursuivant sans pitié sa plaisanterie, « Vous autres colonels, que tous portiez des écharpes bleues ou oranges, vous êtes trop beaux garçons pour être oubliés si aisément quand une fois vous avez été assez heureux pour inspirer de l’intérêt. Mais je pense qu’il ne faudrait pas permettre à mistress Alice, qui est si jolie, qui prie si bien pour la restauration du roi, avec l’air et l’accent d’un ange, et dont les prières doivent nécessairement être exaucées, de penser encore à un hypocrite de Tête-ronde… Qu’en dis-tu ?… me permets-tu de lui en faire sentir toute l’inconvenance ? Après tout, personne n’est plus intéressé que moi à maintenir une pure loyauté parmi mes sujets ; et si je gagne la bienveillance des jolies filles, celle des amants la suivra bientôt. C’était ainsi que faisait le joyeux roi Édouard… Édouard IV, tu sais, que le faiseur de rois, le comte de Warwick, le Cromwell de son époque, a détrôné plus d’une fois ; mais il avait pour lui les cœurs des belles dames de Londres, et les veines, les bourses des badauds s’ouvrirent libéralement pour lui, jusqu’à ce qu’il rentrât dans son palais. Qu’en dis-tu ? dépouillerai-je ma grossièreté septentrionale et parlerai-je à Alice sans feindre davantage, pour lui montrer par mon éducation et mes bonnes manières le dédommagement qu’on peut trouver près d’une laide figure ? — Sire, » dit Albert d’un air confus et embarrassé, « je ne m’attendais pas… »

Il en resta là, ne pouvant trouver des expressions assez fortes pour rendre sa pensée, et assez respectueuses pour ménager le roi, qui était dans la maison de son père et sous sa propre protection.

« Et qu’est-ce donc que n’attendait pas maître Lee ? » demanda Charles avec un grand sérieux.

Albert essaya encore de répondre, mais il ne put que dire : « J’espérais, avec la permission de Votre Majesté… » et il s’arrêta encore tout court ; son respect profond et héréditaire pour son souverain, et le sentiment des égards dus à ses infortunes, l’empêchèrent de donner un libre cours à son mécontentement.

« Qu’espère donc le colonel Albert Lee ? » demanda encore une fois Charles avec le ton sec et froid qu’il avait déjà pris. Point de réponse… « Eh bien, j’espère que le colonel Lee ne voit rien d’of-