Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/246

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croyable, et on s’aperçut alors que sir Henri, d’après les fatales paroles de Jocelin, était tombé sur un large fauteuil, pâle et sans signe de vie.

« Oh ! mon frère, comment avez-vous pu arriver de cette manière ? » lui demanda Alice.

« Pas de question… Bon Dieu ! quel sort m’est-il donc réservé ? » En parlant ainsi, il regardait son père, qui, les traits immobiles et les bras étendus sans la moindre force, ressemblait plutôt à l’image de la mort sur un monument qu’à un être dont l’existence était seulement suspendue. « Ma vie, » s’écria Albert en levant les mains au ciel avec un mouvement convulsif, « n’a-t-elle été épargnée que pour me rendre témoin d’un pareil spectacle ! — Il faut souffrir ce que le ciel permet, jeune homme… et endurer la vie tant qu’il nous la conserve. Laissez-moi approcher. » Le même ministre qui avait lu les prières dans la hutte de Jocelin s’avançait en ce moment. « De l’eau, dit-il, bien vite. » Alice, avec cette promptitude jointe à une vive tendresse qui ne s’arrête jamais à de vaines lamentations, tant qu’il reste une lueur d’espérance, fournit avec une promptitude incroyable tout ce que demandait le ministre.

« Ce n’est qu’un évanouissement, dit-il, en tâtant le pouls de sir Henri… un évanouissement produit par un coup subit et inattendu. Remets-toi, Albert ; je t’assure que ce n’est qu’une syncope… Une coupe, ma chère Alice, un ruban, un bandage… il faut que je lui tire un peu de sang… Quelques parfums aussi, si on peut s’en procurer, ma bonne Alice. »

Alice alla chercher un bassin et un bandage, releva la manche de son père, et semblait même, par intuition, deviner chaque mouvement du révérend docteur ; son frère au contraire n’entendait rien, ne voyait aucun signe de consolation, et restait les mains jointes et levées au ciel, image d’un désespoir muet. Chaque trait de son visage semblait exprimer cette pensée : « Voilà le cadavre de mon père, et c’est moi qui l’ai tué par mon imprudence ! »

Mais lorsque le sang commença à couler d’abord goutte à goutte, et bientôt après en un plus libre filet ; lorsque à l’aide de l’eau froide dont on lui frotta les tempes, et des parfums qu’on lui fit respirer, le vieillard respira faiblement, et fit un effort pour remuer les jambes, Albert Lee quitta son attitude pour se jeter aux pieds du ministre, et baiser, si on l’eût laissé faire, ses souliers et le bord de sa robe.

« Levez-vous, jeune insensé, » dit le brave homme, avec un ton