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« Que les bénédictions de ce beau jour retombent sur celle qui est aussi belle que lui ! » dit l’étrangère d’un ton qui n’était pas hostile, quoique d’une voix dure.

« Je vous remercie, » répondit Alice ; et elle continua de remplir sa cruche au plus vite en s’aidant d’une grande tasse de fer qui restait encore enchaînée à une des pierres autour de la fontaine. « Peut-être, ma jolie fille, si vous vouliez accepter mon aide, votre cruche serait-elle plus tôt pleine ? — Je vous remercie ; mais si j’avais eu besoin d’aide, j’aurais pu amener avec moi quelqu’un. — Je n’en doute pas, ma jolie fille ; il y a trop de jeunes garçons à Woodstock, et qui y voient bien… et sans aucun doute, si vous l’aviez voulu, vous auriez pu amener avec vous le premier d’entre eux qui vous eût regardée. »

Alice ne répondit rien, car la liberté que prenait l’inconnue ne lui plaisait pas, et elle désirait rompre la conversation.

« Vous ai-je offensée, ma jolie demoiselle ? demanda l’étrangère : j’étais loin d’en avoir l’intention… Les bonnes dames de Woodstock ont-elles si peu soin de leurs jolies filles pour permettre à la plus belle d’errer dans ce parc désert, sans une mère, sans personne pour empêcher le renard de s’enfuir avec l’agneau ? Cette négligence me semble montrer peu de tendresse. — Rassurez-vous, bonne femme ; je puis, sans aller loin, trouver assistance et protection, » dit Alice, à qui l’effronterie de sa nouvelle connaissance déplaisait de plus en plus.

« Hélas ! ma jolie enfant, » reprit l’étrangère en passant sa large et dure main sur la tête d’Alice qui était toujours penchée en avant pour prendre de l’eau, « il serait difficile d’entendre de la ville une douce voix comme la vôtre, si haut que vous pussiez crier. »

Alice se débarrassa d’un air mécontent de la main de la femme, prit sa cruche, quoiqu’elle ne fût pas pleine, et voyant que l’étrangère se levait en même temps, dit, non sans crainte à coup sûr, mais avec un sentiment naturel de colère et de dignité : « Je n’ai pas besoin de faire entendre mes cris jusqu’à Woodstock ; s’il me fallait crier au secours, j’en trouverais plus près d’ici. »

Elle ne parlait pas sans être sûre de ce qu’elle disait, car, au même instant, elle vit s’élancer à travers les broussailles et se mettre à son côté le noble chien Bévis, fixant sur l’étrangère des yeux animés, hérissant chaque poil de sa belle crinière, comme les soies d’un sanglier pressé par une même, montrant en outre deux rangs de dents qui ne le cédaient en rien à celles d’un loup de Russie, et