Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/205

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du diable ? Je ne puis manger le potage avec le diable ; je n’ai pas une cuiller assez longue… Ne pouvait-il pas me loger dans quelque coin tranquille, et donner ce repaire de lutins à quelqu’un de ces prédicateurs et diseurs de prières qui connaissent aussi bien la Bible que le maniement des armes, tandis que, moi, je connais les quatre pieds d’un bidet bon trotteur ou les règles d’un attelage de bœufs mieux que toutes les lois de Moïse ? Mais je le quitterai une bonne fois et pour toujours. Les espérances d’un gain terrestre ne me feront jamais courir le risque d’être emporté en corps par le diable, ni d’être placé droit sur la tête tout une nuit, ou plongé dans l’eau bourbeuse celle d’après… Non, non… je suis trop sage pour cela. »

Maître Bletson avait un rôle différent à jouer. Il ne se plaignait pas de violences personnelles ; au contraire, il déclarait qu’il aurait dormi aussi bien que jamais en sa vie, sans l’abominable vacarme que faisaient autour de lui les sentinelles qui se donnaient l’alerte à chaque demi-heure dès qu’un chat venait à passer aux environs de leur poste… « Il aurait bien dormi, disait-il, au milieu d’un sabbat général de sorcières, si toutefois il en existait. — Alors vous pensez qu’il n’y a point d’apparitions, maître Bletson ? dit Éverard. Quoique sceptique sur cet article, je vous avouerai qu’il s’est passé des choses fort étranges. — Rêves, rêves, rêves, colonel ! » dit Bletson, quoique sa pâle figure et ses jambes tremblantes démentissent le courage qu’il voulait prendre en parlant. « Le vieux Chaucer, monsieur, vous a donné la véritable explication des rêves… Il fréquentait depuis long-temps la forêt de Woodstock ; là… — Chaucer[1] ? dit Desborough ; quelque chasseur sans doute, à en juger par son nom ?… Revient-il ici comme Hearn à Windsor[2] ? — Chaucer, mon cher Desborough, lui répondit Bletson, est un de ces admirables gaillards, comme le sait le colonel Éverard, qui vivent bien des centaines d’années après qu’ils sont morts et enterrés, et dont les paroles retentissent à nos oreilles long-temps après que leurs os sont réduits en poussière. — Ah, ah ! bien… J’aimerais mieux être à sa place qu’en sa compagnie… Un de vos magiciens, j’imagine ? Mais que dit-il à ce sujet ? — Rien qu’une petite strophe que je prendrai la liberté de réciter au colonel Éverard, dit Bletson, mais qui sera pour toi, Desborough, aussi inintelligible que du

  1. Jeu de mots sur Chaucer, qui a peu de sel pour un Français. a. m.
  2. Allusion au chasseur Hearne, dans les Joyeuses filles de Windsor, pièce de Shakespeare. a. m.