Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modérés par son activité et son intelligence. — A-t-on douté jamais de sa sincérité ? demanda Wildrake. — Jamais que je sache, répondit le colonel ; au contraire, on lui a donné le sobriquet d’honnête Joseph et de fidèle Tomkins. Pour moi, je pense que sa sincérité a toujours marché de pair avec son intérêt… Mais, allons, vide ton verre, et au lit… Comment ! tu bois tout d’un seul trait ? — Corbleu ! oui… mon vœu me défend d’en faire deux gorgées ; mais n’aie pas peur… ce sera un bonnet de nuit qui m’échauffera seulement la tête, sans mettre la cervelle en fermentation ; ainsi, homme ou diable, si on t’éveille, appelle-moi, et compte sur moi en un clin d’œil. » À ces mots, le Cavalier se retira dans son appartement séparé, et le colonel Éverard, ôtant ceux de ses habits qui le gênaient le plus, sa culotte et sa veste, se disposa à dormir et s’endormit en effet.

Il fut éveillé par une musique lente et solennelle dont les sons allaient se perdre dans le lointain. Il tressaillit, et chercha ses armes qu’il trouva près de lui ; son lit, préparé pour la nuit, n’avait pas de rideaux : il put donc regarder sans peine autour de lui ; mais comme ce qui restait de braise rouge avait été enterré dans les cendres, il lui fut impossible de rien distinguer ; il sentit donc, en dépit de son courage naturel, cette indéfinissable frayeur qui accompagne la conviction d’un péril imminent et une ignorance absolue de sa cause et de sa nature. Quoiqu’il ne crût qu’avec répugnance aux apparitions surnaturelles, nous avons déjà dit qu’il n’était pas absolument incrédule ; car peut-être, même en ce siècle si sceptique, se trouve-t-il moins de gens d’une incrédulité complète et absolue à cet égard, qu’on n’en voit s’en glorifier. Incertain s’il n’avait pas rêvé entendre ces sons qui semblaient retentir encore à son oreille, il n’osait guère s’exposer aux railleries de son ami en l’appelant. Il se mit donc sur son séant, non sans ressentir cette agitation nerveuse ordinaire au brave comme au poltron, avec cette différence que l’un en est atterré, et que l’autre rassemble toute son énergie pour s’en débarrasser, comme le cèdre du Liban soulève, dit-on, ses branches, pour secouer la neige qui s’y accumule.

L’histoire d’Harrison, en dépit de lui-même, et malgré un secret soupçon de machination et de complot, lui revint à l’esprit dans ce moment. Il se rappela qu’Harrison, en parlant de l’apparition, avait donné un détail autre que celui qui lui passait dans l’esprit en ce moment. Cette serviette sanglante, pressée toujours