Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/181

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prochant d’Éverard, et en lui parlant bas à l’oreille d’une voix que la terreur rendait tremblante, sentiment très extraordinaire chez cet audacieux jeune homme, et qui semblait le dominer… « il faut que ce soit le pauvre Dick Robison, le comédien, dans le costume même où je lui ai vu jouer Philaster[1]… Oui, et même après j’ai bu bouteille avec lui à la Syrène ! Je me rappelle les joyeux propos que nous avons tenus ensemble, et toutes ses petites manières fantastiques. Il servit son vieux maître Charles dans la compagnie de Mohum, et j’avais entendu dire qu’il avait été assassiné par ce chien de boucher, après la bataille de Naseby. — Chut ! j’en ai entendu parler, dit Éverard : pour l’amour de Dieu, laisse-lui achever son histoire… Cet inconnu t’a-t-il parlé, l’ami ? — Oui, monsieur, d’un ton de voix agréable, mais un peu emphatique dans la prononciation, et qui ressemblait moins à une conversation ordinaire qu’au ton d’un avocat qui parlerait devant un auditoire nombreux, ou un prédicateur en chaire. Il demanda à voir le major-général Harrison. — Il la demandé ! dit Éverard, qui payait aussi tribut à l’esprit du temps qui, on le sait, portait à voir en toutes choses une puissance surnaturelle… Qu’avez-vous fait alors ? — Je montai au salon pour prévenir le major que quelqu’un désirait le voir. Il tressaillit, et se hâta de me demander des détails sur l’habillement de l’étranger, à peine l’eus-je fait, et lui eus-je parlé du joyau qu’il portait à l’oreille, qu’il s’écria : « Au diable ! Dis-lui que je refuse de lui parler ; dis-lui encore que je le défie et le combattrai vaillamment à la grande bataille dans la vallée d’Armageddon, quand la voix de l’ange rassemblera tous les oiseaux qui volent sous la voûte des cieux pour se repaître de la chair du capitaine et du soldat, du cheval de guerre et du cavalier. Enfin, dis au malin esprit que j’ai le pouvoir de différer notre combat, même jusqu’à ce jour, et qu’en ce jour terrible il retrouvera Harrison. » Je revins faire cette réponse à l’étranger, qui me fit une grimace comme n’en fit jamais figure humaine. « Retourne vers ton maître, répliqua-t-il ; dis-lui que ce moment est mon heure ; et que, s’il ne vient pas me parler, je vais monter moi-même ; dis-lui que je lui ordonne de descendre, et la preuve en est que, sur le champ de bataille de Naseby, il n’a point mis négligemment la main à l’ouvrage. — J’ai entendu dire, » marmotta Wildrake, qui ressentait de plus en plus violemment la contagion de la superstition, « qu’Harrison prononça ces mots par blasphème lorsqu’il tira sur mon pauvre ami

  1. Drame de Beaumont et Fletcher. a. m.