Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/159

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soldats… Parlez-moi, ma jolie cousine, montrez-vous sous vos véritables traits. J’ai obtenu des pouvoirs pour protéger mon oncle sir Henri… pour vous protéger aussi, chère Alice, même contre les suites de ce bizarre projet. Parlez… je vois où vous êtes, et malgré tout mon respect pour vous, je ne puis être plus long-temps votre jouet. Donnez-moi… donnez la main à votre cousin Markham, et croyez qu’il mourra ou qu’il vous placera dans une honorable sûreté. »

Tout en parlant, ses yeux cherchaient à pénétrer dans l’obscurité pour découvrir où se trouvait son interlocutrice. Il lui sembla apercevoir à trois pas de lui quelqu’un dont il ne pouvait pas même discerner les contours, placé comme il l’était dans l’ombre épaisse et prolongée que jetait un pan de muraille qui séparait deux fenêtres du côté de la galerie d’où partait la lumière. Il chercha à calculer à peu près la distance entre lui et l’objet qui attirait toute son attention, en pensant que, s’il pouvait, même en usant d’une légère violence, détacher sa chère Alice du complot où il supposait que le zèle de son père pour la cause de la royauté l’avait engagée, il leur rendrait à tous deux le plus signalé des services ; car il ne pouvait s’empêcher de craindre que, malgré la réussite de la conspiration qu’il croyait tramée contre le timide Bletson, le stupide Desborough et le fou Harrison, ces artifices ne dussent pourtant à la fin couvrir nécessairement de honte et même exposer au plus grand péril ceux qui les avaient conçus.

Il faut aussi se rappeler que l’affection d’Éverard pour sa cousine, quoiqu’il ne se fût jamais écarté des bornes du respect et du dévouement, avait moins de cette grande vénération qu’un amant de cette époque témoignait à sa dame, qu’il n’adorait qu’avec une humble défiance, que de cette amitié vive et familière qu’un frère conçoit pour une jeune sœur qu’il est appelé, à ce qu’il pense, à guider, à conseiller, et même parfois à réprimander. Leur liaison avait toujours été si tendre et si intime qu’il n’hésita point plus longtemps à tâcher de la resserrer pour qu’elle ne s’engageât point davantage dans la voie dangereuse où elle était entrée, même au risque de l’offenser pour un instant ; il hésita moins qu’il n’eût fait pour l’arracher à un torrent ou à un incendie, au risque de lui causer quelque saisissement par la promptitude de son action. Toutes ces réflexions traversèrent son esprit en l’espace d’une minute, et il résolut, à tout événement, de la retenir sur le lieu même, et de la forcer, s’il était possible, à lui donner des explications. Ce fut dans de pareilles intentions qu’Éverard conjura encore sa cousine,