Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/124

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cette sobriété qui t’a mis en mauvaise humeur ; guéris ton ulcère avec de l’eau-de-vie, si tu veux, mais quitte au plus tôt cette singulière taciturnité qui ne te va pas. — Colonel Éverard, » répondit le Cavalier fort gravement, « je suis un homme changé. — Je crois que tu changes à chaque jour de l’année et à chaque heure. Allons, maintenant, mon brave, dis-moi si tu as vu le général, et si tu apportes un ordre de lui pour expulser les commissaires au séquestre de Woodstock ? — J’ai vu le diable, et j’apporte, comme tu dis, un ordre de lui. — Donne-le-moi donc vite, » dit Éverard saisissant la lettre.

« Excuse-moi, Mark ; mais si tu savais à quelles conditions il t’accorde ta demande… Si tu savais… ce que je n’ai nulle envie de te dire… quelles espérances il fonde en supposant que tu y souscriras, j’ai trop bonne opinion de toi, Mark Éverard, pour ne pas croire que tu ne prendrais pas plutôt, la main nue, un fer rouge sur l’enclume que de recevoir entre tes doigts ce morceau de papier. — Allons, allons, voici encore quelques unes de tes fameuses idées de loyauté, qui, excellentes dans de justes limites, vous font perdre la tête quand on les exagère. Ne pense pas, puisqu’il faut te parler clairement, que je voie sans chagrin la chute de notre vieille monarchie et la substitution d’une autre forme de gouvernement en sa place. Mais faut-il que mon regret du passé m’empêche d’adopter et de favoriser des mesures qui paraissent devoir assurer l’avenir ? La cause royale est perdue, quand toi et tous les Cavaliers d’Angleterre réunis vous jureriez le contraire ; perdue et sans retour pour bien long-temps du moins. Le parlement, si souvent décimé, si souvent privé des membres qui étaient assez courageux pour maintenir la liberté d’opinion, est maintenant réduit à une poignée d’hommes d’état qui ne savent plus respecter le peuple, depuis que le pouvoir est resté si long-temps en leurs mains. Ils chercheront à réduire l’armée ; et les soldats, naguère serviteurs, sont les maîtres aujourd’hui, et ils ne souffriront pas cette réduction. Ils connaissent leur force ; ils savent qu’ils forment une armée que l’Angleterre soldera et logera tant qu’ils le voudront. Je te le répète, Wildrake, si nous négligeons le seul homme capable de les conduire et de les gouverner, attendons-nous à voir la loi militaire peser sur le pays ; et moi, pour ma part. Je ne m’en rapporte, pour la conservation des privilèges qu’on peut nous accorder, qu’à la sagesse et à la prévoyance de Cromwell. À présent tu connais mon secret ; tu sais que je ne fais pas comme je voudrais, mais bien